[Coupe du monde 2022] « Des joueurs camerounais ont recours à la sorcellerie, à la magie, aux marabouts »
A quelques semaines du début de la Coupe du monde 2022, les grandes manœuvres occultes et non occultes sont en cours. La plupart des footballeurs camerounais se ruent vers les villages éloignés au fin fond de la forêt équatoriale, à la recherche et à la rencontre des tradipraticiens. RFI a voulu savoir pourquoi ces footballeurs accourent auprès de ces vendeurs d’illusions et pour quels résultats.
En ce lundi matin du mois de septembre 2022, il est 7h quelque part dans un village à plus de 300 kilomètres à l’Est de Yaoundé. La localité se réveille à peine d’une nuit difficile. En effet, une pluie torrentielle s’est abattue ici. Au centre du village, un mystérieux individu s’adonne à un curieux rituel depuis le lever du jour. Un fait pas étonnant pour les villageois, parce qu’il est de coutume de voir de temps en temps ce type de pratique ici. Autour de son cou, une kyrielle d’amulettes. En bandoulière, un sac en peau de bœuf. Sandalettes traditionnelles aux pieds, son accoutrement particulier attire l’attention. C’est le tradipraticien du village. Le meilleur dit-on. La prise de photos est interdite. Devant lui et à genoux, deux joueurs des Lions indomptables dont nous garderons l’identité anonyme. Que font-ils là ?
Un autre tradipraticien, Nji Ousseni, qui exerce à Yaoundé, apporte une explication. « Comme la Coupe du monde approche, plusieurs joueurs des Lions indomptables ont recours à de la sorcellerie, à la magie, aux marabouts avec pour but de déstabiliser leurs adversaires. Chacun veut être sélectionné, ou être titulaire. Ainsi pour les compétitions importantes comme la Coupe du monde ou encore la Coupe d’Afrique des nations, les joueurs font souvent appel à mes services pour invoquer les dieux afin de perturber l’adversaire », poursuit-il. En soi, l’emploi de la magie noire en football n’a rien de nouveau au pays de Roger Milla selon plusieurs analystes.
Mauvaise image pour le football
Au sein des Lions indomptables, on ne badine pas avec la sorcellerie, même lorsqu’elle requiert certaines pratiques qui pourraient choquer le grand public. Selon une certaine coutume, pour réaliser un beau parcours lors d’une compétition internationale, il faut s’entourer des meilleurs marabouts, tradipraticiens et guérisseurs privés. Ainsi, en plus de l’entraînement physique, les pratiques mystiques sont, dit-on, capable d’améliorer l’agilité et d’augmenter l’efficacité des joueurs. Pour le journaliste Jean Bruno Tagne, fin-connaisseur des Lions indomptables, « les places vont se vendre très cher pour participer à la Coupe du monde et donc chacun met les chances de son côté. Il y a ce qu’on appelle ici la préparation psychologique. Qui en réalité veut dire le recours aux pratiques mystiques. J’ai pu discuter avec certains joueurs et même des encadreurs et je sais qu’il y a régulièrement à la nuit tombée, un certain nombre de sacrifices, au stade Ahmadou-Ahidjo. On égorge des bœufs, on arrose le sang de ces bœufs sur les joueurs. Le tout pour contenter les ancêtres afin qu’ils apportent leur soutien. Mais franchement, on ne peut pas simplement à partir d’une incantation penser qu’on va remporter un match de foot, c’est ridicule. Pour moi c’est de la bêtise parce que les prescriptions des marabouts ne sont pas toujours des réussites », s’insurge le journaliste camerounais.
L’anthropologue Valentin Nga Ndongo, dans son enquête rendue publique sur le football camerounais et la superstition, note que « la forme la plus forte de la magie dans le football consiste à faire appel à un Mami Wata [une Succube, ndlr], qui est une divinité aquatique, qui protège le gardien de but et empêche les ballons d’y pénétrer », explique-t-il. Mais pour Hélène Lovet, coach en développement naturel, « même si un joueur ne croit pas en son efficacité, il a besoin d’exercices sportifs, pour se rassurer. C’est pour cela que je recommande l’utilisation des produits naturels pour tonifier l’organisme », indique-t-elle au micro de RFI. Et « pour qu’ils se comportent de la meilleure des façons sur le terrain, les joueurs vont notamment prendre de nombreux bains mystiques à base d’herbes et de racines », ajoute Nji Ousseni. « Certains versent de l’eau bénite ou des pincées de sel sur la pelouse avant une rencontre. Vous voyez donc que la Coupe du monde a de gros enjeux », poursuit-il.
Troublants témoignages
« C’est cela le football. On n’y peut rien sans cela. Chacun se prépare par divers moyens parce qu’en face il y a aussi des adversaires comme le Brésil, la Suisse et la Serbie qui ne sont pas simple mystiquement », raconte sous anonymat, un célèbre joueur des Lions indomptables qui a pris part à la dernière CAN comme titulaire, et qui sera sans aucun doute parmi les Lions indomptables qui se rendront au Qatar dans quelques semaines. Le tradipraticien des Lions indomptables comme on l’appelle dans le village enclavé en pleine forêt équatoriale, raconte qu’il a déjà reçu pas moins de cinq joueurs des Lions qui séjournent au pays en ce moment, sans révéler la teneur de leurs échanges.
Mais « cela ne peut en aucun cas servir d’élément galvanisant », selon Salomon Banga Bidjeme II, joueur camerounais évoluant à Al Hilal de Khartoum au Soudan et capitaine de la sélection locale du Cameroun. « Un footballeur peut avoir les meilleurs marabouts du monde mais s’il ne s’entraîne pas régulièrement et ne cherche pas à s’améliorer au quotidien, il n’avancera jamais », explique-t-il à RFI. Au Cameroun, chaque fait sportif a toujours une explication mystico-spirituelle. Le pays intrigue à travers les nombreux mythes qui l’entourent. Mais « les footballeurs camerounais devraient plutôt utiliser les valeurs comme l’honnêteté, le courage, la patience, la persévérance, le don de soi, l’amour du travail pour s’améliorer chaque jour », lance Hélène Lovet. Et Salomon Banga Bidjeme II, champion du Soudan en 2022, tient à prévenir la nouvelle génération de footballeur dont il fait aussi partie : « Le conseil que je peux prodiguer aux jeunes footballeurs, c’est de faire attention. Ne cherchez pas trop. »
Source : Rfi