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[Côte d’Ivoire] Voici l’histoire émouvante de l’animatrice Konnie Touré


Abidjan, 14-12-2022 (lepointsur.com) Un petit garçon manqué joue aux billes dans la rue avec des bambins de son âge à Yopougon SOGEFIHA.

En ces années de 1987-1988, elle ne fréquente qu’eux et adorent les jeux violents et musclés de ces gamins qui grandissent à la dure.

Avec sa meilleure amie Dany, elles se bagarrent avec eux de temps en temps dans de ce monde qui fonctionne comme une jungle.

Il lui arrivait de jouer aussi des rôles de filles. Elle chipait le riz cru « déne kacha »dans la chambre de sa mère pour faire des dinettes.

Les enfants aiment jouer le rôle des parents, en simulant tous les actes de la vie courante dont la cuisine. Evidemment, lorsque cela se savait, sa mère faisait abattre sur elle une terrible colère. Le riz des pauvres, le riz de basse qualité, appelé à l’époque « déne kacha » (en français, « les enfants sont nombreux ») était trop précieux dans les familles modestes pour être gaspillé dans des amusements d’enfants.

La petite Touré Koaniman, plus tard connue sous le nom de Konnie Touré, était simplement une enfant difficile, on dirait «têtue».

Un jour de 1987, alors qu’elle s’ennuyait à la maison et que ses parents étaient absents, elle s’habille dans la robe carrelée de sa grande sœur, tenue des petites écolières. Elle récupère une ardoise qui traîne par là et se dirige vers l’EPP SOGEFIHA 6 où sont scolarisées ses sœurs et s’assoit dans une des salles de classe. Au début, la scène amuse l’instituteur et les autres élèves. On appelle la mère pour qu’elle vienne chercher sa fille car elle n’a que 5 ans , mais Konnie refuse de partir, s’agrippe aux tables et pleure à tue-tête.

Tous les efforts pour la faire sortir de la classe restent vains. Les parents qui n’avaient pas prévu de scolariser leur fille si tôt se résignent à l’inscrire au CP1 les jours qui suivent. Mais à cette époque , l’école publique n’accepte pas les enfants de moins de 7 ans au CP1. Ils décident alors de l’inscrire dans une école privée, l’Ecole primaire la Bonne Semence de Yopougon Selmer.

Voilà Konnie devenue écolière, en « bri » (de force) comme le disent les enfants de son quartier.

Mais la vie n’est point facile dans cette famille nombreuse. Son père, couturier de son état (par respect pour la fonction, sinon à l’époque, on disait tailleur) à Adjamé 220 Logements avait 3 femmes et 21 enfants.

La mère de Konnie seule a 7 filles et 1 garçon. C’est connu dans une famille nombreuse et polygame traditionnelle, ce sont les mères qui s’occupent essentiellement de leurs progénitures.

La mère de Konnie vend du sel au détail dans le marché de SICOGI. Ce sont de petits sachets de 10 frs ou de 25 frs. Les femmes Malinké ont l’art séculaire du commerce au détail qu’elles exercent avec succès.

Du commerce de détail du sel, la mère passe à la vente de gros sacs de sel. Tous les Mercredis, jour de repos des écoliers , la petite Konnie se rend au marché pour aider sa mère dans ce commerce.

La mère de Konnie a un gros désavantage culturel et est victime de perceptions négatives parce qu’elle a 7 filles et un seul garçon. Dans le contexte culturel de l’époque, accoucher d’une fille est « un gaspillage de couche », car une fille est moins susceptible de réussir dans la vie et tirer sa famille, destinée qu’elle est à rejoindre très tôt un homme, son mari, choisi ou imposé.

On comprend donc que la mère doive se battre tous les jours pour assurer une vie à ses filles, se levant tôt le matin et poursuivant les créanciers et les fournisseurs.

La petite Konnie observe sa mère dans cette quête permanente de survie et se laisse infuser, à son insu, d’une combativité qui coulera dans son sang désormais. Elle s’identifiera à sa mère.

Les circonstances de la vie compliquent la vie familiale. La mère de Konnie part s’installer à GEM 3, à Yopougon Toits Rouges, avec ses enfants avec ses enfants à elle. Cela n’entrave en rien le combat quotidien pour la survie. Au contraire, il le décuple.

La bonne dame, exclusivement préoccupée par le bien-être de ses 8 enfants se fait un nom dans le milieu du commerce de pagnes auquel elle s’est reconvertie et finit par acheter une maison avec son épargne.

Elle s’y installe avec ses enfants.

Dieu aidant, la petite Konnie a un parcours plutôt brillant. Après l’Ecole Primaire à la Bonne Semence de Yopougon, elle intègre le Collège Moderne Pigeon où elle obtient le BEPC. Elle s’y lie d’amitié avec Niangara Béké Reine, devenue comme sa sœur aujourd’hui.

Ses excellentes notes lui permettent d’être orientée au prestigieux Lycée d’Excellence Sainte Marie de Cocody où elle finit Major de la promotion littéraire et obtient le Bac A en été 2000, avec une Mention et un Tableau d’honneur à la clé.

Mais Konnie vient d’une famille modeste de Yopougon réinstallée à Adjamé, où malgré la performance l’on n’a pas toujours l’encadrement familial nécessaire en termes de conseils.

Malgré le Bac qu’elle a obtenu avec brio, elle ne sait pas où s’orienter. Elle vogue sur les incertitudes.

Certainement mue par le désir de travailler vite pour aider sa mère, elle s’inscrit au BTS Secrétariat Bilingue au Lycée Technique d’Abidjan, sans trop réellement savoir sur quoi débouche cette spécialisation.

Les cours commencent dans quelques mois. Konnie est oisive entre-temps . Elle est devenue trop âgée et trop sage pour aller se bagarrer dans les rues.

Elle se rappelle alors qu’elle a toujours aimé la musique. Il n’était pas aisé d’avoir des appareils de musique pour des familles modestes mais dans cette Côte d’Ivoire douce et sociale de l’époque, la musique est présente partout et berce toute la vie sociale et …politique.

Konnie écoutait des morceaux et les partageait avec ses amis à l’aide d’un magnétophone, le nec le plus ultra pour écouter des « cassettes » et des émissions en ces temps-là.

En se remettant à écouter la musique pendant ces vacances ennuyeuses sur les magnétophones, elle s’amuse à faire des « démos ». Elle enregistre sa voix, simule des animations radio.

Elle est loin d’imaginer qu’elle est ainsi en train de prendre rendez-vous avec sa propre histoire. Elle est incapable d’imaginer que cet exercice radio va changer son destin, elle qui n’a jamais rêvé d’être animatrice Radio ou télé.

Konnie dépose ses « démos » d’abord à Radio Nostalgie, la radio privée la plus influente en cet été 2000. Elle y fait la connaissance d’un animateur bien connu, Jean Jacques Varold. Celui-ci lui conseille d’envoyer également ses démos à des radios de proximité. Ce qu’elle fait.

Tour à tour, elle dépose ses démos à Radio Femme Solidarité, Radio Yopugon et à City FM.

C’est cette dernière radio City FM à Treichville, qui la contacte.

Elle y trouve deux mentors, qui l’accueillent et l’encadrent : André Boua et Brice Anoh, tous deux à Life TV aujourd’hui. Les deux animateurs lui demandent de choisir un pseudonyme facile à prononcer car son prénom Koaniman ne fait pas très radio. Elle porte le prénom de sa grand-mère sourde-muette qui vivait à Gagnoa, mais originaire de Koro où prédomine le prénom Koaniman.

Elle choisit le pseudo Kany. Mais l’ami de sa copine Marie-France avait l’habitude de la taquiner en l’appelant « Konnie ». Elle propose finalement « Konnie ». Le prénom est joli, original et attirant, avec un zest de coquetterie, facile à prononcer et à adopter. Les deux animateurs acceptent. Elle est prête à passer à l’antenne.

Les auditeurs de l’époque se rappelleront cette voix fluette et déterminée souvent hésitante sur City FM.

A City FM, elle est également collègue d’un truculent et remuant… Rommy Roméo. Elle est également collègue de Léa Doua.

Après une année à City FM, Konnie passe un test de recrutement à Radio Nostalgie.

Cette Radio depuis deux décennies est le rêve de tout jeune animateur, eu égard aux noms de prestige qui y étaient, qui ont fait rêver, fantasmer et qui ont écrit une partie de l’histoire de la radio en Côte d’Ivoire.

A ce recrutement, Konnie et deux autres personnes dont Malika Kamara (passée ensuite à ONUCI FM) sont retenues sur 100 candidats. Son talent, son allié.

Elle est donc à Nostalgie, son rêve.

Je vous l’ai dit plus haut, autour des familles modestes, il n’y a pas toujours de bons conseillers ou pas de conseillers du tout. L’ancien employeur de Konnie fait remarquer qu’elle n’a pas respecté une clause d’exclusivité dans le contrat qui la liait à la Radio qu’elle a quittée. Konnie ne se rappelle pas avoir signé un contrat, mais dans le principe l’employeur a raison.

Radio Nostalgie, qui ne veut pas rentrer dans une longue procédure judiciaire, se voit contraint de libérer Konnie. La belle aventure et le rêve s’arrêtent.

Il y a souvent de bonnes choses derrière les mauvaises nouvelles. Konnie, qui avait entre-temps arrêté ses études à cause de la radio, retourne à l’école, au Lycée Technique d’Abidjan, dans la filière BTS Secrétariat Bilingue où elle était inscrite après son Bac. Quand on a du potentiel, on a du potentiel, surtout lorsque l’on est rigoureux. Très vite, Konnie obtient le BTS.

Le lendemain de l’obtention de son diplôme, elle reçoit un appel de Claire Elvire, une autre icône de Radio Nostalgie, pour qui elle a une fascination. C’est comme une fiction. Le BTS en poche et immédiatement la reprise du poste à Radio Nostalgie, la passion trop tôt estompée.

Elle rejoint les grands noms auxquels elle avait toujours voulu s’identifier, Claire Elvire, Eric Didia, Yannick Tossa. Mitsou Koch et bien d’autres.

Konnie Touré reste 14 ans à Radio Nostalgie et devient elle aussi l’égérie d’autres jeunes qui rêvent d’animation radio. Elle fait bonne carrière et range pendant son évolution toutes les souffrances du passé.

Elle devient la fierté de sa famille.

Dans son parcours radio et télé, elle rencontre de grands noms, Salif Kéita, Claudy Siar, Amobé Mévégué, pour ne citer qu’eux.

Il y a 10 ans, lorsque la Première Dame de la République de Côte d’Ivoire lui fait appel pour animer un gala, elle réalise qu’elle a parcouru du chemin. Dans la foulée, Canal Plus la sollicite pour animer une émission « Plus d’Afrique Live », en remplacement de Robert Brazza pendant un an.

En 2012, elle crée l’entreprise KONNIEVENCE qui se spécialise dans la production audio-visuelle. C’est Claudy Siar qui lui suggère le nom de son entreprise.

Elle fait des spots publicitaires. Elle comprend dès lors qu’elle ne peut pas se contenter de ses lauriers en restant statique dans la carrière.

En Juin 2015, le Groupe Lagardère installe Radio Vibe et la recrute comme Directrice des Programmes. En compagnie d’autres collègues, elle monte la radio et recrute tout le personnel. En Mars 2020, elle devient la Directrice Générale de la Radio.

En Juillet 2020, elle passe à Life TV, qui est dans le même groupe que Vibe, rachetée par un certain… Fabrice Sawegnon.

De plus en plus, elle affiche un leadership dans son domaine et dans les affaires. Elle définit elle-même son leadership comme un leadership teinté de protection maternelle, tout naturellement inspiré de sa mère.

En Septembre 2021, elle démissionne de la Radio et poursuit la production de films dans sa propre entreprise « Konnievence» devenue aujourd’hui KONNIEVENCE PRODUCTIONS

Le petit garçon manqué de Yopougon SOGEFIHA, née le 26 Janvier 1982, bagarreuse et noyée dans la modestie d’une famille de 21 enfants, est devenue une belle et grande dame, discrète dans sa vie sociale et à la réputation noble et stimulatrice de carrière……

Konnie vous dit : jeunes : ne soyez jamais résignés dans la vie, que vous soyez des bas-quartiers de Yopougon ou d’Adjamé. Battez-vous. La vie a toujours quelque chose de surprenant pour vous.

(Ceux qui n’aiment pas lire, passez votre chemin. Cette rubrique est pour les amoureux des arts et des lettres. Il n’y a de notes vocales ici)

Par Vincent Toh Bi Irié

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