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[Côte d’Ivoire/Procès de Amadé Ouremi] « 817 personnes tuées en une journée ? C’est protéger les populations ça ? », l’ambiance hier au tribunal du Plateau


Abidjan, 26-03-2021 (lepointsur.com) À Barthelemy Zouzoua Inabo: Après-midi ce jeudi 25 mars 2021 au Palais de Justice, au Plateau, pour suivre le procès de Amadé Ouremi. L’homme n’est rien. Dieu est fort et grand. La terreur de l’Ouest, le monstre du Mont Peko à Duekoué devant le tribunal…

“ Nous étions enfermés dans la maison depuis trois jours. Nous ne pouvions plus tenir sans manger. Mon frère et moi sommes sortis pour trouver une boutique et acheter quelque chose à manger. Nous sommes tombés sur un barrage dès éléments de Amadé Ouremi. ’’

« Je ne suis pas un chef. Je suis un élément ». Amadé Ouremi est placide devant le tribunal. Il a l’air tout frêle, sandales aux pieds, un pantalon sombre, un polo à deux tons, totalement défraîchi et tacheté, le crâne rasé. L’homme qui est arrêté là, debout depuis bientôt deux heures, donne par moments, l’impression d’être un gros timide, incapable d’écraser un cafard. Mais sa nature réelle apparaît au détour d’une phrase, d’une réplique quand le président de la Cour lui demande s’il souhaite poser une question à un témoin qui vient de l’accabler. « Toi, tu dis que les éléments ont enlevé et tué ton petit frère. Pourquoi ils ne t’ont pas pris toi ? », lance-t-il à un témoin qui vient de retracer les atrocités pendant les trois jours d’enfer à Duekoué, les 28, 29 et 30 mars 2011. « Nous étions enfermés dans la maison depuis trois jours. Nous ne pouvions plus tenir sans manger. Mon frère et moi sommes sortis pour trouver une boutique et acheter quelque chose à manger. Nous sommes tombés sur un barrage dès éléments de Amadé Ouremi. Ils ont enlevé mon frère. Il est né en 1960. J’ai appris plus tard qu’il a été tué. Je suis reparti au même barrage pour réclamer le corps de mon frère. Les éléments m’ont réclamé 10.000 F. J’ai donné la somme demandée et ils m’ont remis la dépouille. Nous l’avons inhumée sommairement », dit ce témoin, en pleurs.

“ Amadé Ouremi, frémit parfois quand les parents des victimes racontent les scènes d’horreur vécues à Duekoué. Il bouge le corps, la tête, comme traversé par une onde électrique. ’’

Le président de la Cour voulant le calmer lâche : « calme-toi… Un homme ne pleure pas comme une femme ». Petite gêne sur la table. Deux femmes sont membres de la Cour et visiblement, elles n’apprécient pas. Les féministes auraient crié : « propos sexistes ! ». « C’est le seigneur qui m’a sauvé », reprend ce témoin qui n’est pas loin de la transe.

Amadé Ouremi, frémit parfois quand les parents des victimes racontent les scènes d’horreur vécues à Duekoué. Il bouge le corps, la tête, comme traversé par une onde électrique. « Si vous voulez vous asseoir, dites-le nous. On vous donne une chaise ». « Non, ça va, je peux tenir ».

L’homme ne regarde pas les témoins qui défilent mais il est concentré. Un autre vient de relater la mort de son oncle, capitaine de police à la retraite, causée par les hommes armés. « Amadé Ouremi, je le connais bien. Il a trois femmes. Elles ont des motos. Quand les tirs ont commencé, mon oncle qui est policier nous a demandés de fuir. Il nous a dit qu’en tant que policier, il le sait, quand il y a des tirs, il faut se coucher. Ne pouvant pas courir, il a décidé de se coucher dans sa maison. Malheureusement, la roquette tirée par les éléments de Amadé Ouremi sur la maison l’a détruite ». La réplique de l’accusé est fulgurante. « Moi, tout le monde me connaît. Moi, je ne connais pas ce témoin. Il dit que j’ai trois femmes. Moi je n’ai pas trois femmes. J’ai six (6) femmes ».

La salle explose de rire. Le Président de la Cour menace de vider tout le monde. « Vous avez six femmes. Donc au moins, trois femmes comme le dit le témoin », ironise le président. Amadé Ouremi est visiblement tendu. « Aujoud’hui-là, quand je veux parler, on ne veut pas. Si c’est comme ça, je vais rester chez moi… », lâche-t-il. Le calme revient, il ne veut toujours pas s’asseoir.

Un jeune instituteur, élève en classe de terminale à l’époque des faits, avec toute sa passion juvénile et les souvenirs douloureux des événements des trois jours sombres à la fin du mois de mars 2011, vient expliquer dans le menu détail, les faits vécus. « Avant le mois de mars 2011, il y a eu d’autres faits. Amadé Ouremi est connu dans la région. Quand on vous dit “ fuyez, les hommes de Amadé Ouremi arrivent ’’, vous ne pouvez pas rester… », commence-t-il. « Sincèrement, Monsieur le Président, les jeunes de Duekoué avait monté des barrages d’auto-défense, mais sans armes, pour protéger les quartiers contre les attaques des hommes de Amadé Ouremi ». Et là, l’accusé montre qu’il en sait beaucoup et s’étale : « Les jeunes avaient placé des barrages partout. On ne peut aller devant. On ne peut aller derrière. Ils disaient aussi qu’ils allaient transformer Duekoué en cendres. Nous sommes sortis pour protéger les populations. Je n’étais pas seul. C’est sous le commandement de Losseni Fofana et ses éléments ».

“ Les enquêteurs de la CPI ont fait plusieurs tours à Abidjan. Ils se sont rendus à l’Ouest du pays, sur plusieurs mois. Des noms ont été cités et cochés. Et Amadé Ouremi ouvre les portes. ’’

Le Président du tribunal lève le ton : « 817 personnes tuées en une journée ? C’est protéger les populations ça ? Des vieillards, des enfants, des femmes enceintes ? ». Amadé Ouremi est contré sur sa propre défense.

Onze (11) témoins ont défilé à la barre pour la seule journée de ce jeudi 25 mars 2021. Prochaine audience, le mercredi 31 mars 2021.

Le procès Amadé Ouremi est ouvert à Abidjan au moment où selon toute vraisemblance, la Haye se prépare pour ce que les spécialistes appellent « Côte d’Ivoire 2 », les dossiers concernant le camp de ton camarade. « En février 2012, les juges ont décidé de faire remonter les enquêtes jusqu’en 2002. Donc les enquêtes ont commencé en 2015 contre les Pro-Ouattara. Donc ce n’est pas nouveau », explique Eric Semian de l’ONG, l’OIDH. Les enquêteurs de la CPI ont fait plusieurs tours à Abidjan. Ils se sont rendus à l’Ouest du pays, sur plusieurs mois. Des noms ont été cités et cochés. Et Amadé Ouremi ouvre les portes. La question aujourd’hui, que va faire ton camarade ? Comme c’est entre-vous là, pose lui la question…

Fernand Dédeh

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