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[Côte d’Ivoire/Pollution] Accusés de tuer à petit feu les riverains, l’étonnante réaction des cimentiers de la zone portuaire de Treichville


Abidjan, 02-02-2021 (lepointsur.com) Les  entreprises de cimenterie Ciment bélier, de la société LafargeHolcim Côte d’Ivoire, Ciment cuirasse, de la Société de ciments d’Abidjan (SCA), Cim Ivoire de CIM Métal Group, et le quai minéralier concédé par l’Etat à la société Sea Invest, situées sur l’espace portuaire, posent un problème de pollution atmosphérique et de santé publique dans le District d’Abidjan. Reportage.

Boulevard portuaire dans la commune de Treichville, ce lundi 17 février 2020. Une épaisse poussière s’élève le long de la voie au passage des voitures. Il est pratiquement impossible d’y circuler les vitres baissées pour les véhicules et sans un cache-nez pour les piétons. La pollution atmosphérique est permanente  en raison de l’implantation de trois entreprises de cimenterie mais surtout du quai minéralier dans la zone. Une réalité qui ne fait pas bon ménage avec les riverains, le Port Autonome d’Abidjan et même le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville.

En effet, les sociétés de cimenterie Ciment bélier, Ciment cuirasse, CimIvoire et le quai minéralier d’où l’on débarque le clinker, constituent une menace pour la santé des riverains, contraints d’inhaler les fines particules de poussières produites par le déchargement et le transport du clinker et des sacs de ciment. Certains jours même, on pourrait croire qu’il s’agit de brouillard tant la poussière est épaisse. Or cette pollution n’est pas inoffensive. Puisque les panneaux posés sur le mur des sociétés incriminées expliquent les dangers en invitant les travailleurs et les visiteurs à se munir d’un cache-nez. Ce lundi-là, nous avons aperçu de nombreux passants se boucher le nez au moment où ils empruntaient ce long boulevard. Les agents des sociétés eux, sont munis de cache-nez. Dès lors, se pose avec acuité,  la question de la santé des riverains qui ne bénéficient pas de mesure de protection.

“ Les cimentiers auront donc beau respecter les normes écologiques, tant que Sea Invest en charge de la manutention maintiendra le quai minéralier en l’état, il n’y aura aucune amélioration pour la qualité de l’environnement du Port Autonome d’Abidjan ni pour la santé des riverains. Là, semble se situer les responsabilités. ’’

  • Une pollution atmosphérique permanente

Après ce constat alarmant au cœur de la production, nous mettons le cap à la Cité du port qui jouxte ces entreprises. Le constat est aussi préoccupant. Dès que l’on franchit le portail principal, se trouve une école maternelle sur la gauche qui accueille les tout-petits. Ces enfants, (l’organisme fragile et en pleine croissance) inhalent, à longueur de journée,  les fines particules de ciment. Qui pourra imaginer les dégâts que pourraient causer dans 5, 10 ou 20 ans, ces particules nocives, peut-être cancérigènes, dans leur organisme ?

Ils pourraient alors développer des maladies que l’on ne liera pas nécessairement à cette poussière. Mais il n’y a pas que les tout-petits. A droite, en face de l’école maternelle, se trouve, des ‘’gargotes’’ où viennent se sustenter les riverains et des travailleurs de la communauté portuaire. Toutes ces personnes se voient obligées de respirer cet air pollué qui s’invitent par le biais du vent au menu. « On sait que ce n’est pas bon pour notre santé mais on n’a pas le choix, ce sont les autorités qui ont installé ces entreprises-là. On fait donc avec »,  semble se résigner Kouassi Bruno. Mais le président des riverains de la Cité n’est pas de cet avis.

  • Des cas de maladies signalés

Selon M. Traoré Hamed, l’installation des usines sur le site du Port menace la santé des riverains. « L’installation de ces cimenteries est un vrai problème pour les riverains que nous sommes. Et il faut dire que cette question a soulevé un débat à notre niveau. L’émission de poussière, de jour comme de nuit, nous gêne énormément. D’ailleurs, on enregistre de nombreux cas d’asthmatiques et des allergies », révèle-t-il. Et de poursuivre: « On s’est plaint auprès des sociétés de cimenterie et il n’y avait pas d’évolution jusqu’à ce que la nouvelle entreprise CimIvoire arrive et mette en place des installations qui ont permis la réduction des émissions. Cependant, les deux autres trainent les pieds et rechignent à suivre l’exemple de cette dernière ».  Le combat continue donc, selon M. Traoré, puisque les émissions sont toujours aussi incommodantes et nocives pour la santé.

Cette situation pose la responsabilité des pouvoirs publics. Comment a-t-on pu permettre  à ces sociétés de s’installer dans cette zone, aux environs immédiats d’habitations, du Port Autonome d’Abidjan et du CHU de Treichville ? La question prend tout son sens quand on sait que deux nouvelles zones  industrielles ont été aménagées à Akoupé-Zeudji et sur l’autoroute du Nord au PK24 pour ces entreprises. Et même sur ces sites, si l’on en croit l’ex-ministre de l’Industrie et des Mines, Jean-Claude Brou, « les entreprises les plus polluantes comme les cimentiers sont éloignées des moins polluantes comme les brasseries, et des non polluantes ».

  • Les mis en cause réagissent

Si, pour Ciment bélier et Ciment Cuirasse, installées respectivement, en 1952 et 1965, on peut comprendre, puisqu’à cette époque lointaine, on avait peu connaissance des questions de pollution à Abidjan, pour CimIvoire, en revanche, opérationnelle depuis novembre 2018, beaucoup s’interrogent sur son implantation à cet endroit sérieusement. Toujours est-il que nous avons sollicité par courrier avec accusé de réception, l’avis des trois entreprises incriminées. LafargeHolcim Côte d’Ivoire et CimIvoire ont réagi.

Selon M. Paul Anet, directeur développement à LafargeHolcim, cette entreprise est bien consciente de la pollution qu’engendre la fabrication du ciment. C’est pourquoi l’entreprise travaille, selon lui, à réduire de 40% ses émissions de CO2 par tonne de ciment. « C’est un objectif réalisable grâce à l’amélioration de nos procédés, à la substitution des énergies fossiles par des combustibles alternatifs », explique-t-il. Selon ce dernier, l’entreprise mène également des actions en matière de santé, d’hygiène et de salubrité au profit des riverains. « Pour la cité du port, à titre d’exemple, nous avons mené des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière qui a touché plus d’une cinquantaine d’enseignants et plusieurs milliers d’élèves », a-t-il fait remarquer.

  • L’inadéquation des installations du quai minéralier

Du côté de CimIvoire, la conscience d’être installée dans une zone portuaire a nécessité de la part de cette entreprise de gros efforts sur le plan de l’ingénierie que de la construction. L’obtention du feu vert des autorités pour s’installer sur ce site était soumise à des critères très stricts. « Nous fonctionnons en circuit fermé, pas d’émission de poussière et nous sommes à la pointe de la technologie sur le plan environnemental. Nous sommes dotés d’un broyeur d’une capacité de 360 tonnes/heure, soit le plus important de la sous-région », explique M. Essam Daoud, directeur général. Qui précise au passage que : « Notre autre particularité, est que nous sommes les seuls, à ce jour, à être connecté directement au quai minéralier du port d’Abidjan par des convoyeurs qui permettent d’acheminer le clinker directement vers les silos de stockages. Cela garantie une qualité irréprochable de stockage de la matière première réduisant par la même occasion le flux de transport par camions et les émissions de poussières ».

Une chose est certaine, si certaines entreprises incriminées comme LafargeHolcim Côte d’Ivoire mènent des activités en faveur des riverains, c’est bien parce qu’elles sont conscientes du danger que représente leurs activités dont le caractère polluant est de notoriété. C’est un peu comme la souris qui mord et souffle à la fois.

A la vérité si CimIvoire s’impose dans la zone par sa taille, elle parait également inattaquable sur le plan de sa technologie. Ce que reconnait d’ailleurs, M. Traoré Hamed, président des résidents de la cité du Port qui dit attendre des deux autres cimentiers des efforts dans ce sens. Seulement, en s’acharnant sur les cimentiers, les riverains semblent oublier le quai minéralier qui reste de loin le plus gros pollueur de l’espace portuaire.

De fait, les déchargements du clinker des navires au quai minéralier se font presqu’à ciel ouvert, laissant s’échapper des poussières de la matière première du ciment. Nous avons pu faire le constat et sommes en mesure d’affirmer que les procédés de déchargement du quai minéralier géré par l’entreprise Sea Invest ne sont pas en adéquation avec la protection de l’environnement. Or, il se trouve que toutes les usines de ciments installés dans le pays viennent y charger le clinker. Ce qui semble expliquer la pollution permanente de la zone. Les cimentiers auront donc beau respecter les normes écologiques, tant que Sea Invest en charge de la manutention maintiendra le quai minéralier en l’état, il n’y aura aucune amélioration pour la qualité de l’environnement du Port Autonome d’Abidjan ni pour la santé des riverains. Là, semble se situer les responsabilités.

Source : www.informateur.info

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