[Côte d’Ivoire] Les réelles causes des inondations à Abidjan (Par Dr Bangali N’goran)
Abidjan, 29-06-2020 (lepointsur.com) Dakar est une presqu’île entourée de marécages, comme sa consœur Abidjan, surnommée d’ailleurs la “perle des lagunes’’ pour signaler sa géomorphologie d’apparence insulaire. En tant que tel, leur espace vital se partage entre zones basses inondables et crêtes aplaties. Les parties basses sont traversées par des nervures de ruissellement par lesquelles l’eau pluviale se trace un chemin vers le réseau lagunaire. Le colon français qui a fondé ces deux villes capitales le savait. Raison pour laquelle, dans le cas d’Abidjan, il a fixé ses aménagements urbains sur les sites surélevés comme le Plateau, qui est le lotissement européen, Treichville, le quartier africain ou Port-Bouet le faubourg réservé aux travailleurs du port.
Cette logique d’aménagement est la même à Bingerville où l’habité colonial est niché sur la colline Santai. C’est à la fois pratique pour avoir les pieds au sec et disposer d’une position de mirador. Hormis le cas de Grand Bassam, où l’ensablement du canal avait provoqué des inondations spectaculaires en 2019 dans le quartier Franceville, les sites d’urbanisation coloniale ne sont jamais touchés par les dégâts des eaux pluviales. L’explication est que l’habitat colonial a été installé de façon concentrique sur les hauteurs. Après l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny suit cette logique d’établissement du plan de lotissement basé sur l’exploitation en priorité des zones surélevées. Vous remarquerez par exemple que les premiers lotissements de Cocody (Centre, II Plateaux, Riviera Golf) et Yopougon, le “nouveau monde’’, sont cantonnés sur des sommets aplatis. De sorte que dans les années 1980 l’allure d’Abidjan dans ces nouveaux quartiers ressemblait à une bande défilante de hauts lieux urbanisés parsemées de zones basses abandonnées à la verdure.
Les problèmes commencent quand, après l’épuisement des hauts lieux, la pression foncière se redirige vers les zones basses délaissées sciemment depuis l’urbanisation coloniale. Pendant que les opérations immobilières tapissent les versants de villas, les bidonvilles colonisent les talwegs, qui représentent les niveaux les plus bas des vallées. Ces lotissements devraient être précédés par des travaux lourds de VRD sur le modèle du secteur RAMBLAIS (entre Marcory et Koumassi) et sur l’exemple du quartier de Dakar appelé PARCELLES ASSAINIES, où des millions de mètre cube de terres ont été déplacés pour combler et niveler une ancienne zone basse gagnée sur les marais. Ces travaux structurants se sont doublés de la construction de réseaux d’écoulement des eaux pluviales, tracés suivant l’orientation des talwegs naturels. Ce qui n’a pas été fait dans le cas de l’étalement de Cocody sur les parcelles inhabitables situées au-delà des quartiers de Cocody centre et de la Riviera Golf. Mettez-vous au feu tricolore d’Abidjan Mall et balayez du regard l’étendue de lotissements dans le sens de Bingerville et vous verrez que le quartier Palmeraie est une cuvette, qui part de ce feu tricolore jusqu’aux environs du Nouveau Camp d’Akouedo.
L’occupation de ce genre de sites témoigne de la saturation de l’ancien Abidjan et pose avec acuité le besoin de lancer les travaux structurants du GRAND ABIDJAN. Au Sénégal, pour sauver Dakar après les inondations monstrueuses de 2005 l’Etat a plutôt opté pour la construction d’une ville nouvelle à Diamniadio. Le projet a paru fou à ses débuts mais le gouvernement sénégalais est actuellement en passe de gagner brillamment son pari. Pendant ce temps en Côte-d’Ivoire, le temps semble s’être arrêté. En dix ans de paix et de croissance retrouvée, on a ni réussi à déménager la capitale à Yamoussoukro ni exécuté les travaux d’aménagement infrastructurel du grand Abidjan.
Dr Bangali N’goran
Historien, enseignant-chercheur