Politique

[Côte d’Ivoire] Ils ont de la haine pour la démocratie !


Abidjan, 24-6-2019 (lepointsur.com) La démocratie, ils l’aiment tous en public et savent bien la définir, mais ils détestent l’appliquer. En réalité et en pratique, ils ont de la haine pour la démocratie. Ils ont cette compétence négative ou cette incompétence de mettre la passion là où elle devrait être exclue. Ils sont brillants pour remplacer la compétence par l’incompétence même. On embrasse ce qu’on reconnaît comme mauvais ou injuste dans le seul but de faire advenir ou prospérer un régime politique fossoyeur du peuple et engraisseur du clan.  Une attitude qui se défie de tout ce qui ne lui ressemble pas, qui se croit supérieure à tout ce qui ne lui ressemble point, qui s’admire, qui se cultive, qui se perfectionne et qui se répand ; car ceux qui auraient quelque tendance à y échapper y reviennent vite, ou ne la quittent point, en considération des grands avantages qu’elle procure et de la défaveur, de l’ostracisme qui frappe ce qui n’est pas elle. Et c’est ainsi, malheureusement, que, sous nos tropiques, la démocratie fait tache d’huile avec une si prodigieuse activité péri-démocratique dès qu’elle naît et, non seulement s’empare du gouvernement, mais absorbe et corrompt l’État tout entier. Nos politiques sont tous des péri-démocrates et des absolutistes, des joueurs de bonneteau et acteurs vicieux d’une corruption qui gouverne et s’oppose.

Mais attention !!! La démocratie a peut-être un esprit ou un génie patient, mais elle sait, et l’histoire continue de le démontrer, se faire respecter de façon inattendue. Inutile donc de se flatter d’être le bon et de se donner un beau mérite.

Il n’y a pas de politique qui vaille, de politique digne de ce nom, de politique authentique sans ce sens aigu de la responsabilité chez ceux qui envisagent ou prétendent la mener, l’animer et la conduire.

L’objectif majeur de tout homme d’État, dans une modernité démocratique, doit être de faire de bons citoyens ou encore de rendre ses compatriotes, meilleurs. On ne peut pas avoir des ambitions présidentielles et surfer constamment sur la famille, le clan, l’ethnie et la région, au risque de s’étouffer les vannes politiques. Quand on envisage présider un État, il faut pouvoir et savoir se détacher de son soi et de son entre soi pour avoir les yeux rivés sur la Nation, les compétences et les talents d’envergure.

En Côte d’Ivoire, il nous faut construire une nouvelle rationalité politique, un art de gouverner qui enveloppe l’État mais ne s’y limite pas et qui produit des alternatives sociales d’employabilité, des modes de citoyenneté et des comportements, ainsi qu’une nouvelle organisation sociale, une société civile dynamique, une jeunesse éveillée par une bonne instruction.

L’engagement politique a besoin de sang neuf, d’esprits jeunes et compétents, de gens qui ne se sont pas résolus à baisser les bras pour se réfugier dans le petit confort qui mène à tous ces excès.

En vérité, comme l’indique Friedrich Nietzsche (Œuvres complètes, vol. 9, pp. 99-103), il nous faut éviter de ressembler aux cordiers : ils tirent leur fils en longueur et vont eux-mêmes toujours en arrière. Il y en a aussi qui deviennent trop vieux pour leurs vérités et leurs victoires ; une bouche édentée n’a plus droit à toutes les vérités. Et tous ceux qui cherchent la gloire doivent au bon moment prendre congé de l’honneur, et exercer l’art difficile de s’en aller à temps. Il faut cesser de se faire manger, au moment où l’on vous trouve le plus de goût : ceux-là le savent qui veulent être aimés longtemps. Il y a bien aussi des pommes aigres dont la destinée est d’attendre jusqu’au dernier jour de l’automne. Et elles deviennent en même temps mûres, jaunes et ridées.

Je suis pour le renouvellement générationnel, pas pour l’appauvrissement moral, éthique et intellectuel du personnel politique. Il s’agit de trouver le bon équilibre. Il faut éviter de créer une sorte d’acné dans la manière d’exercer la politique et déparer son charme millénaire.

Travaillons à  encourager, susciter et promouvoir des figures hors partis politiques ! Car, on est en droit d’attendre des responsables politiques, un peu moins de nullité à court terme pour plus de résultats à long terme.

Ne soyons ni obstinés dans le maintien de ce qui s’écroule, ni trop pressés dans l’établissement de ce qui semble s’annoncer, pour parodier Benjamin Constant de Rebecque.

La démocratie doit reposer sur la recherche inlassable du consensus ; elle doit viser l’intégration sociale et l’action significative, tel qu’on peut le lire chez J-P. Badidike ; elle doit privilégier la réciprocité, la collégialité et la finalité du pouvoir ; elle doit promouvoir la vie en communauté, le bien commun, l’égalité et la participation. La raison d’être de la communauté organisée, c’est le « bien des hommes », selon les termes d’Odon Kawaya.  Et le premier bien de la communauté est d’avoir des hommes capables d’assurer la continuité de sa survie et de ses institutions. La communauté a donc pour mission d’organiser la vie commune de telle sorte que ses membres trouvent en elle le moyen de s’épanouir et de survivre. Elle doit aussi veiller à ce que ceux qui travaillent en faveur du bien commun y trouvent aussi le moyen d’assurer leur propre épanouissement et celui de ceux qui sont directement placés sous leur responsabilité, pour parodier J. Leclercq.

En Côte d’Ivoire, chaque être politique doit répondre de la responsabilité des autres et de celle de la communauté des ivoiriens. Les dieux et les ancêtres répondent aux mêmes exigences.

Nos palabres et querelles doivent se comprendre comme une « technique d’entretien » de l’espace public et de la vitalité du jeu démocratique, pas leur dévoiement.

Docteur Pascal ROY

Philosophe, Juriste et Diplômé de Sciences politiques

Enseignant-Chercheur des Universités

Chercheur-Associé à lInstitut Catholique de Paris

Membre-Associé de la Société Française de Philosophie

Écrivain et Chroniqueur

www.docteurpascalroy.com

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