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[Côte d’Ivoire/Disparition d’Edouard Koffi Sacra] Le témoignage émouvant de Fernand dédeh à son ami et “frère’’


Abidjan, 13-12-2019 (lepointsur.com) À Barthelemy Zouzoua Inabo: J’avais prévu un témoignage pour Édouard Koffi Sacra, mon ami, mon frère, mon type. Nos lettres de recrutement à la RTI ont été signées le même jour, le 16 juin 2000 par le DG de l’époque, Lévy Nyamké… Lettres en poche, nous avons grimpé et dominé la côte de la CNPS au Plateau. Les bureaux de la direction générale étaient au Plateau, à l’angle de la rue du Commerce à l’époque…

Pendant la montée de la côte, nous avons pris des engagements, nous battre aux côtés de Brou Aka Pascal pour donner une autre couleur au Sport à la télé. Sacra comptait sur moi, moi je l’encourageais à s’investir dans la voie qu’il a choisie, la réalisation. Nous avons essayé de faire de notre mieux. Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes. Les choses n’étaient pas faciles. Mais nous y croyions. Nous avions la volonté et la détermination pour faire bouger les lignes… Édouard Koffi Sacra, supporter de l’Asec Mimosas devant l’éternel, ne vivra pas le classico 2019 qui déchaîne tant de passions sur les réseaux sociaux.

Édouard Koffi Sacra, l’enfant de Tambi sera conduit à sa dernière demeure ce samedi 14 décembre 2019, sur les terres de ses ancêtres. Sans moi. Plâtré, cloîtré chez moi. Mon cœur en peine.

En 2009, en prélude au championnat d’Afrique des nations des locaux, le CHAN 2009, je demande à interroger le Président de la République, Laurent Gbagbo. Un mois plus tard, alors que je n’y crois plus, aux environs de 13 h, je reçois un coup de fil du Palais: «Monsieur Fernand Dédeh ? Vous aviez demandé une interview au Président. Il vous attend. Vous venez maintenant !».

Il me souvient que Édouard Koffi Sacra me racontait chaque fois sa frustration. «Le Président m’a demandé de passer le voir. Il a demandé qui je connais dans son entourage. De voir avec la personne pour m’accompagner chez lui. J’ai frappé à toutes les portes, en vain».

Je réalise que j’ai une occasion unique de donner forme à l’attente de mon collaborateur. Mais il est hors de la télé au moment précis. Si je pars sans lui, ce serait vraiment la dernière porte qui se ferme pour lui.
Je l’appelle. Il est à Koumassi. Je l’informe de mon activité et lui demande de prendre toutes les dispositions pour que nous nous croisions au Palais.

Nous arrivons évidemment en retard au rdv. Le protocole m’informe que le Président est occupé à autre chose. Il reçoit les officiers supérieurs de l’Armée. La désolation se lit sur le visage de Koffi Sacra. Je demande au protocole et à la sécurité de nous laisser à l’ombre, dans un angle du Palais. Je nourris l’espoir de rattraper mon interview.

Aux environs de 15 h, le Chef de l’Etat sort de son bureau et rejoint le petit palais. Je me rends visible. «Ah, vous êtes là ?»
«Monsieur le Président, je voudrais présenter mes excuses pour le retard…». Il me coupe net.
«Allons manger et puis vous allez faire l’interview…»

Je regarde Koffi Sacra. Son visage s’illumine. Comme un gamin.

Nous déjeunerons avec le Chef de l’Etat ce jour-là. Le déjeuner a duré plus de 2 h… Un moment d’échanges. D’anthropologie pour moi, d’observation, de décryptage du discours du chef de l’Etat. Ses préférences culinaires, ses rapports à certains de ses collaborateurs, ses cachets, certains détails croustillants de la vie d’un chef d’Etat… Bref…

Édouard Koffi Sacra se lâche: «Monsieur le Président, moi, l’enfant de Tambi, enfant de pauvre, je n’ai jamais pensé de toute ma vie, que je pourrais manger à la table d’un Président. Si je dis à mes parents que j’ai mangé avec vous, ils ne vont jamais me croire. À votre avis, comment puis-je les convaincre que j’étais à votre table ?».

Laurent Gbagbo lui dit: «Si tu as un document, une photo, je peux te faire un autographe…». Il n’en fallait pas plus. Édouard Koffi Sacra avait dans la poche de son costume des images le montrant avec le président… Il les a sorties au fur et à mesure. Et, le président prenait plaisir à y apposer sa signature ou un signe quelconque…

Après le déjeuner, l’interview. Après l’interview, le débriefing rapide. Et le président de dire à Sacra, «mais toi, je te vois souvent… Tu voulais me voir non ?».

Édouard Koffi Sacra ne tremble pas. Il sort de sa poche, le prospectus d’une opération immobilière. «Monsieur le Président, je vous cherche pour ça…».
Laurent Gbagbo jette un coup d’œil rapide sur le document puis dis à Jacques Anouma qui était là, «c’est mon fils. Aide le…».

Un mois plus tard, Édouard m’appelle: «Chef, les services de Jacques Anouma m’ont appelé. Ils m’ont remis quelque chose pour ma maison. Tu proposes quoi ?».

Je lui dis : «Cours vite. Dépose les
Sous pour ta maison. Tu n’auras pas deux chances. Ahmed Bakayoko a l’habitude de dire que chacun de nous à la chance. Mais c’est celui qui sait saisir sa chance qui réussit. Cours vite…»
.

Après la crise post-électorale, il m’a informé qu’il avait aménagé dans la maison. J’ai été fier de lui. Il avait beaucoup de respect pour moi. Je le poussais de mon côté, du mieux que je pouvais pour l’aider à se perfectionner, à devenir le meilleur dans la voie, dans la profession de réalisateur qu’il avait choisie.

Pars en paix, cher frère, cher ami

Par Fernand Dédeh

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