[Côte d’Ivoire/Deuil] Des images inédites d’Hamed Bakayoko en plein boulot
Abidjan, 15-03-2021 (lepointsur.com) La première fois que j’ai entendu mon sang bouillir dans mes veines, c’était sous la pression d’Hamed Bakayoko. Non ! Le gars adorait la pression. Il travaillait sous la pression de lui-même et des urgences.
Il peut accorder 20 audiences en une journée pendant qu’il effectue le travail administratif de routine. La nuit, il continue les audiences officielles à sa résidence. Cette série peut finir à 01h du matin ou plus tard.
Il prend note sur de petits carnets pour ne rien oublier. Pour chaque audience, il y a des recommandations. Il me remettra le lendemain toutes les notes qu’il aura prises, pour assurer le suivi.
Parallèlement, il participe aux activités de ses collègues Ministres, aux initiatives sociales ou caritatives.
Il réserve des jours pour Abobo dont il est le Maire.
Les autres fois, il consulte des personnes tierces. Il veut connaître leurs avis sur des questions particulières. Je l’ai dit. Hamed n’a aucun complexe. Il connaît beaucoup par lui-même et il apprend toujours. Il pose beaucoup de questions. Il écoute beaucoup. Il parle peu devant les personnes qu’il ne connaît pas. S’il est loquace, c’est qu’il plane sur des généralités.
Hamed Bakayoko est très occupé. Et il charge son agenda à l’extrême.
Ce côté bosseur, beaucoup ne le lui connaissent. Il fonce, innove et veut changer les choses.
Il demande : « pourquoi on fait cette chose de cette façon ? ». Si vous répondez : « c’est comme ça que ça a toujours été », il décide donc que s’il n’y a pas de rationalité logique derrière une habitude ou un processus, il faut changer l’approche.
Les jours, les semaines et les mois sont chargés. Il ne se fatigue pas. Je me rappelle que nous avions travaillé sur un document jusqu’à 04h du matin. A 08h, il est déjà à une cérémonie officielle quelque part dans la ville. D’où tire-t-il cette énergie ?
Quand on ne connaît pas quelqu’un, on peut gloser sur ses capacités techniques. La réalité est, dans le cas d’Hamed, trop différente de l’image publique que beaucoup avaient de lui.
Quand j’intégrais son Cabinet, j’avais appris qu’il était proche du Président de la République qui le considérait comme son fils.
Malgré cela, lorsqu’il avait un rendez-vous de travail avec le Président, tout s’arrêtait au Cabinet. Même si la rencontre devait durer un quart d’heure, elle pouvait se préparer sur trois jours.
Hamed ne partait jamais devant le Président avec des notes approximatives. Il fouillait, nous demandait de vérifier et revérifier les informations dans sa note. Il voulait des chiffres précis, des propositions claires et des notes de présentation les plus brèves possibles.
Hamed a un profond respect pour le Président. Quand il part le rencontrer, tous les détails comptent : la qualité du papier, la taille des caractères, l’esthétique des chemises et des sous-chemises, la concision, l’exactitude des informations. Tous les détails comptent. Hamed est minutieux et méticuleux.
Souvent, nous accusons du retard dans l’attente du dernier détail. Hamed monte dans sa voiture et part à la Présidence. Il est hors de pensée qu’il arrive en retard à une réunion, avec le Président en plus. Je finalise le dossier et je cours le rejoindre à la salle d’attente du Président où les dossiers lui sont remis.
Au retour au bureau, j’attends, anxieux. Chacun connaît son patron. Si la rencontre est brève et qu’il revient au bureau en saluant ou taquinant tous les membres du personnel qu’il rencontre dans le couloir, c’est que j’ai sauvé ma peau. Mais quand il revient et qu’il fonce droit dans son bureau en montant les escaliers deux par deux, c’est que l’heure de ma pendaison est arrivée : « Tohbiiiiiiiii !! Tu m’as humilié devant le Président. Un détail manquait à la note ». Une semaine de bouderie s’en suit qui finit toujours par une autre urgence à traiter qui fait oublier la frustration de la semaine d’avant.
Hamed ne savait pas être rancunier. Il finit toujours par trouver une blague ou une situation pour détendre l’atmosphère.
Un autre terrible moment de pression avec Hamed était ses discours. Je m’évertuais à lui dire : « Il est mieux que vous lisiez les discours plutôt que d’improviser car un mot mal placé et on se fait laminer par la presse ».
Quand il va au micro, il sort le discours de la poche intérieure de sa veste.
Il lit les premières lignes et il se lance dans l’improvisation qu’il adore. Il s’en sort toujours bien. Mais pour un Directeur de Cabinet, c’est une torture car chaque discours est une opportunité de passer d’autres messages ou informations officiels, sans ignorer qu’une orientation inattendue du discours peut avoir de terribles conséquences.
En Octobre 2015, à l’inauguration du siège de la Chambre des Rois et Chefs Traditionnels, Hamed me fait reprendre son projet de discours 21 fois. Je dis bien 21 fois. Il est perfectionniste. Le dernier projet, je le produis de la chambre d’hôtel où tout l’équipement est installé. Il est déjà au lieu de la cérémonie avec les officiels. La cérémonie a commencé. Il prend son téléphone et m’appelle « Tohbi, ajoute cette dernière idée ».
J’ai juste 10 minutes pour rédiger, imprimer et découper sous son format discours particulier à lui. Je remets la 21eme version du discours à son protocole Sindou, qui roule comme il peut pour rallier le siège de la Chambre des Rois à partir de l’Hôtel Président.
Je suis essoré. Mon cerveau a séché. Je me mets devant l’écran de la télévision pour suivre le reste. La cérémonie est en direct. Je vois Sindou lui remettre le petit paquet, juste au moment où arrive son tour d’aller à la tribune. Il sort les feuillets de sa veste, les ajuste légèrement le temps de gérer son petit trac. Il commence à lire posément les premières lignes, puis il lève la tête pour garder le contact visuel avec l’auditoire. Je connais ses réflexes. Quand il lève la tête pendant plus d’une minute, il ne la replonge plus dans le discours. C’est fini. Le reste c’est une improvisation sur la base des grandes idées du discours. Hey Hamed, on peut faire ça à quelqu’un ? Faire 21 projets de discours que tu as toi-même dictés, passer trois nuits blanches pour qu’au final tu improvises ?
Après la cérémonie, il vient à l’hôtel tout heureux : « Tohbiiiiiii (comme un seul i de mon nom ne lui suffit pas), je t’ai encore stressé ?? J’ai fait un grand discours aujourd’hui. Les Présidents Ouattara et Bédié m’ont félicité !!! J’ai un coin ici à Yamoussoukro où on mange du bon poisson. Apprête-toi. On va y aller ». Je le regarde, décontenancé. 21 projets d’un discours non lu et il me propose du poisson : « Non. Merci. Je rentre sur Abidjan. Il faut préparer le prochain Conseil de Gouvernement ».
Je reconnais cependant qu’il essaie d’être lui-même et il libère ses discours avec son moi profond et ses émotions à lui, débarrassé de nos carcans administratifs classiques. C’est plus vrai. La finalité, c’est que le message passe.
Hamed et la pression sont deux amis intimes. Ils se supportent très bien.
Souvent, il débarque à mon bureau, s’assoit devant moi jusqu’à ce que je termine le document qu’il attend (exemple de la photo en illustration).
Lorsque la Côte d’Ivoire remporte la CAN en début 2015, Hamed Bakayoko me demande d’aller nuitamment au bureau : « Tohbiiiiiii, avant que l’avion des Éléphants n’atterrisse, rédige-moi 22 lettres de félicitation différentes pour les 22 membres de la sélection nationale et pour tous les encadreurs ». Ouais Hamed !! Tu as horreur que je m’ennuie !!
Hamed a du monde autour de lui. C’est en partie au Directeur de Cabinet de gérer ce monde et assurer une fluidité avec le travail administratif. Voici une autre source de stress pour d’autres membres du staff.
Souvent, la pression montait au Ministère. C’est pas le moment de discuter des dossiers délicats avec le patron parce que c’est l’échec assuré. Or il faut bien que le Cabinet fonctionne malgré les pressions qu’il avait sur lui. Je rassemble les dossiers essentiels et je vais le voir.
En général, on ne frappe jamais avant de rentrer dans le bureau d’Hamed Bakayoko.
Quand je rentre. Il arrête de lire avec ses lunettes et me fixe depuis la porte jusqu’à ce que j’arrive à la table du bureau. Quand il fait ça, la partie sera rude. Il est déjà dans un état de pression.
Je ne m’assoies jamais devant lui. Je reste debout pour échanger. Hamed est extrêmement sensible. Il a mal quand il sait qu’il a blessé. Il change le ton et calme le débat. Et on continue de discuter.
Puis je dépose les dossiers devant lui, à côté d’un stylo spécial qu’il utilisait pour signer. « Monsieur le Ministre d’Etat, nous serons hors délais. Signez s’il vous plaît ». Il a une autre pression qu’il ne déclare pas. Il prend les dossiers, les signe un à un. Tant que j’ai mes dossiers bien en main et signés, on peut supporter.
Avec Hamed Bakayoko, il faut toujours anticiper, tout prévoir, tout planifier dans le travail, comme lui-même le fait.
Il subit une pression énorme et tous les jours. Mais travailler avec lui, c’est aussi savoir gérer la et sa pression. C’est pourquoi, il ne travaille jamais avec ses amis les plus intimes.
Au bout de la semaine, le Vendredi, il quitte le bureau entre 20 et 21h, de très bonne humeur. Il a oublié tous vos clashs et désaccords : « Ouais Tohbi. On a mérité notre week-end hein ! Tu vas charger Abidjan sur ta tête, toi et ton ami Claude Sahi, le chanteur-là ». Claude Sahi avait eu le malheur de lui chanter des chansons de Lougah et Bailly Spinto un jour et ça lui a valu ce nouveau titre.
Avec Hamed Bakayoko, la pression administrative devient un mode de vie auquel on s’accommode. C’est cette pression qui lui permet de faire des prouesses dans le travail.
Un bosseur ….
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.