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[Côte d’Ivoire/Cas d’avortement] Les élèves les plus touchées


Abidjan, 25-09-2019 (lepointsur.com) Selon la restitution de la recherche socio-anthropologique sur les pratiques d’avortement et leurs conséquences sur la santé des femmes en Côte d’Ivoire, de Médecins du Monde et ses partenaires, les jeunes élèves sont les plus touchées par ce phénomène.

En Côte d’Ivoire, bien qu’il soit difficile d’estimer de manière précise ce phénomène étant donné son caractère illégal, on estime une prévalence de l’avortement clandestin à 42,5%, des complications liées aux avortements à 55,2%, qui seraient responsables d’environ 15% des décès maternels.

Phénomène à la fois courant et caché, Médecins du Monde, Ong internationale engagée en faveur de l’accès à la santé sexuelle reproductive (SSR), a souhaité en connaître davantage sur les pratiques de l’avortement et sur ses conséquences sanitaires et sociales sur les femmes, afin de nourrir ses programmes opérationnels et ses actions de plaidoyer. C’est dans ce cadre qu’une étude socio-anthropologique a été menée dans les Districts sanitaires de Soubré et de Méagui, par l’équipe du Pr Francis Akindès (Chaire Unesco de Bouaké, Université Alassane Ouattara), en collaboration avec le Centre population et développement, Paris (Ceped) et financée par Amplify Change.

Les objectifs de cette recherche étaient, d’analyser les pratiques d’avortement clandestin, les acteurs impliqués, les itinéraires d’accès aux services d’avortement clandestin, les pratiques et perceptions des professionnels de santé autour des soins post-avortement, les conséquences sociales et sanitaires sur les femmes et comprendre l’écart existant entre la réalité des pratiques d’avortement clandestin et le dispositif institutionnel mis en place. Dans une démarche de redevabilité vis-à-vis de ces partenaires Médecins du Monde France, a souhaité aussi, de manière systématique, partager les résultats de ces recherches aux personnes concernées.

C’est dans ce cadre qu’une réunion de restitution des résultats de cette étude a été organisée le 03 septembre 2019, dans les locaux du programme PAC-CI sis au CHU de Treichville. Cet atelier avait pour objectif, de rendre compte des principaux résultats de cette recherche réalisée du 22 avril au 27 juin 2019,  aux acteurs engagés dans le champ de la SSR en Côte d’Ivoire.

Les données ont été collectées dans les Districts sanitaires de Soubré et de Méagui, du 22 avril au 10 mai 2019, auprès de 87 personnes dont 47 femmes ayant déjà pratiqué un avortement sur ces trois dernières années, 14 prestataires de santé, 15 acteurs ayant une influence dans la trajectoire des femmes (ami, auteur, tradipraticiennes, vendeur de médicaments chinois).

Il ressort de cette étude que, 65,96% des femmes ayant pratiqué un avortement ces trois dernières années sont des élèves. 63,83% d’entre elles ont effectué leur avortement avant l’âge de 20 ans. Cette forte prévalence aux avortements s’inscrit dans un contexte marqué par la précarité socio-économique et l’usage aléatoire des moyens de contraception.

Par ailleurs, les facteurs qui amènent à la prise de décision d’avorter ont été identifiés par cette étude. Primo, il existe une prise de conscience de la disponibilité de compétence pour la réalisation des avortements. A ceux-ci s’ajoutent, le sentiment de culpabilité lié à la peur de la réaction du père et les représentations sociales autour des grossesses rapprochées (pour les femmes vivant en couple) qui favorisent le choix de l’avortement. La troisième est relative au fait que les jeunes filles en question sont dans l’incapacité d’assumer leur désir d’être parents en raison du déni de la grossesse par l’auteur et la volonté de maintenir le lien social avec sa famille. Différentes stratégies pour avoir accès à l’offre d’avortement disponible sont mobilisées. Il s’agit précisément de maintenir la confidentialité de l’acte en limitant l’information sur la décision à un cercle restreint. Les sources d’informations sur les options qui s’offrent à elles se présentent sous la forme de témoignages (pour les vendeurs de médicaments chinois), le statut et la proximité sociales (avec les prestataires de santé) de la femme en demande et enfin le foisonnement de cliniques et infirmeries privées.

La pratique la plus courante, est l’avortement médicamenteux à l’aide de comprimés chinois. L’accès à cette offre dépend de l’appartenance à des réseaux. Les conséquences de ces avortements et des complications qui en résultent sont perçues de façons différentes. Appréhendé comme un salut lors de la demande, l’acte une fois commis suscite finalement des regrets dus aux conséquences multiples. Il s’agit essentiellement de la modification des rapports de la femme avec son entourage (fin de la relation amoureuse, émergence de tensions dans le couple, effritements des liens familiaux et perte de confiance). Elle s’accompagne d’une démarche de gestion de sa sexualité qui se traduit par le recours aux méthodes de contraception et de pression psychologique visant à s’assurer de sa capacité à procréer.

L’analyse des dispositions institutionnelles face aux avortements, a révélé que la pénalisation de l’avortement est en réalité liée aux conséquences de l’avortement et non à la pratique elle-même.

En outre, cette étude a démontré qu’interdire l’avortement n’empêche pas sa pratique. Bien au contraire, elle favorise l’émergence et l’accroissement d’un marché informel, qui prend de l’ampleur surtout dans les zones à faible disponibilité d’offres de santé. Ce qui suppose qu’il y a un besoin de services non satisfaits dans le secteur public. Le secteur informel de l’avortement prend de plus en plus de place aussi bien dans la gestion de l’avortement que de ses complications.

Fidel Neto

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