[Côte d’Ivoire] Alain Lobognon répond au directeur de l’administration pénitentiaire d’Agboville (courrier)
Dans un courrier manuscrit du 29 mars 2020, adressé au directeur général de la RTI dont nous avons reçu copie, Alain Lobognon, le député élu de Fresco, détenu dans la cellule 1 de la prison civile d’Agboville, fait une mise au point. Il répond à la déclaration Boubakar Coulibaly, directeur de l’administration pénitentiaire qu’il a lue au journal télévisé de 20 h du 28 mars 2020. Nous vous publions l’intégralité de sa mise au point que nous avons saisie.
À Monsieur le Directeur général de la RTI
Objet : Mise au point
Monsieur le Directeur général,
Dans la déclaration qu’il a lue au JT du 20h du 28 mars 2020, Monsieur Boubakar Coulibaly, Directeur de l’administration pénitentiaire, s’est autoproclamé médecin, en annonçant, sans preuve, au monde entier, que détenu depuis le 23 décembre 2019 pour mes choix et mes opinions politiques, mon état de santé n’appelait à aucune inquiétude, parce que dit-il, « je suis suivi par un médecin ». A-t-il donné la preuve que j’aurais été vu depuis mon incarcération illégale, malgré mon statut de député et de ministre en fonction de 2011 à 2015, par un médecin personnel ? La propagande de l’État n’a pas de limite.
Je tiens à révéler que dans la nuit du 22 au 23 mars 2020, j’ai ressenti les symptômes d’un accès palustre qui m’a immobilisé quatre jours durant dans une cellule infestée de cafards, lézards et autres bestioles qui jubilent sans cesse, de jours et de nuits, sur la grille de fer qui sert de plafonds, dit-on, pour empêcher toute évasion de détenus.
Monsieur Boubakar Coulibaly qui s’est souvenu de ma présence à la prison d’Agboville suite à un transfèrement nocturne le 10 mars 2020 depuis la prison de Grand-Bassam où il m’avait auparavant transféré et placé à l’isolement le 9 janvier 2020, ne se serait pas amené si mon collectif d’avocats n’avait pas alerté l’opinion nationale et internationale sur mon état de santé, après la visite surprise de mon épouse le 26 mars 2020. Venue m’apporter des vivres et du linge propre en prévision de la fin des sorties d’Abidjan ce jeudi 26 mars 2020 à minuit, elle a découvert que mon état de santé s’était fortement dégradé. C’est bien ce constat porté à l’attention de mes conseils qui a occasionné la publication du communiqué de ceux-ci.
Dans ma cellule, Monsieur Boubakar Coulibaly a joué le rôle d’un juge d’instruction cherchant à arracher à un prévenu des aveux de taille.
-Quel est votre état de santé ?
-Avez-vous reçu la visite de votre médecin personnel ?
-Quelles sont vos conditions de détention ?
-Pourquoi il n’y a pas de climatiseur dans cette cellule ? -Pourquoi il n’y a pas de plafond ici ?
‘’Je tiens à révéler que dans la nuit du 22 au 23 mars 2020, j’ai ressenti les symptômes d’un accès palustre qui m’a immobilisé quatre jours durant dans une cellule infestée de cafards, lézards et autres bestioles qui jubilent sans cesse, de jours et de nuits, sur la grille de fer qui sert de plafonds, dit-on, pour empêcher toute évasion de détenus’’.
À toutes ces questions de Monsieur Boubakar Coulibaly, j’ai affiché un silence citoyen, sachant très bien que mes réponses lui auraient permis de construire le contenu d’une déclaration officielle mensongère destinée à présenter mon univers carcéral comme un paradis à faire pâlir de jalousie tous les voleurs de la République en liberté, malgré leurs crimes et délits pourtant sévèrement punis par la loi ivoirienne.
Pour avoir été familier aux symptômes du paludisme au cours de mes années d’école, j’ai toujours trimballé dans mes bagages des médicaments de première alerte afin de faire face à l’irréparable car en Côte d’Ivoire, le paludisme est plus mortel que la morsure d’un serpent. C’est pourquoi dès les premiers signes lourds dans la nuit du 22 au 23 mars 2020, je me suis auto-administré un traitement qui s’est poursuivi jusqu’au 26 mars 2020. Le 25 mars 2020, j’avais demandé au régisseur adjoint, passé me voir dans ma cellule, alors que je luttais toujours contre les symptômes du paludisme, d’informer mon épouse, alors interdite de toute nouvelle visite, en application, m’avait dit le régisseur adjoint, d’une note de service du ministre de la Justice, visant à lutter contre le Covid-19.
Monsieur Boubakar Coulibaly a fait cas de mon refus catégorique de me faire diagnostiquer par les médecins de l’hôpital d’Agboville et de la Maca et par l’infirmier de la prison.
‘’Je mets au défi Monsieur Boubakar Coulibaly d’apporter un début de preuve qu’un de mes médecins personnels dépêché à mon chevet a été récusé par moi’’.
C’est vrai. Car en ces temps de Covid-19, de morts suspects et d’empoisonnements visant des opposants politiques, le prisonnier politique et l’otage politique du régime ivoirien, à qui l’on a interdit à son arrivée le 10 mars 2020, une simple moustiquaire – au motif de consignes et règlesserait très irresponsable, imprudent voire idiot, de me laisser des substances mortelles par un personnel médical dépêché à mon chevet par ceux-là même qui me maintiennent dans les lieux de la détention abusive, arbitraire, illégale et politique depuis le 23 décembre 2019, avec quinze autres compagnons d’infortune dont le seul crime est de se battre pour que leur candidat, le Président Guillaume Soro, soit élu à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Les lois et la Constitution de Côte d’Ivoire n’autorisent pas nos détentions.
En tant que cadre, député en fonction et ancien ministre, j’ai des médecins personnels. Lequel des membres de l’administration pénitentiaire de Côte d’Ivoire a fait appel à un seul médecin de mon entourage immédiat ?
Je mets au défi Monsieur Boubakar Coulibaly d’apporter un début de preuve qu’un de mes médecins personnels dépêché à mon chevet a été récusé par moi.
D’ailleurs, informés par mes avocats, mes médecins se mobilisent pour venir m’apporter dans ma cellule, des soins appropriés après l’automédication que je me suis administré faute de communication avec l’extérieur, au moment de la dégradation de ma santé. Les consignes d’isolation dictées par les services du ministère de la Justice étant strictement respectées par le personnel pénitentiaire de la prison d’Agboville.
S’agissant de ma cellule d’isolement, Monsieur Boubakar Coulibaly qui a pu la visiter devrait avoir la joie modeste, puisqu’il a fallu que je donne à cette cellule une passable lueur, en finançant plusieurs travaux de maçonnerie, de peinture et de charpenterie. A la prochaine grosse pluie, l’inondation ne sera pas une surprise. Imaginez les murs d’une cuisine africaine où l’on prépare avec du feu de bois avec dans un coin de trou destiné à l’aisance et à une douche dans un seau d’eau.
Monsieur Boubakar Coulibaly aurait dû avoir le courage d’être là le 10 mars 2020 et les jours suivants à mon arrivée à la prison d’Agboville. Plusieurs nuits sans moustiquaire dans la crasse avant d’obtenir une autorisation de ce même Boubakar Coulibaly, à la suite d’une demande manuscrite pour effectuer des travaux.
‘’En ces temps où le Covid-19 fait des ravages dans tous les milieux, prions afin que l’intrusion de Monsieur Boubakar Coulibaly et sa délégation au sein de la prison d’Agboville, le 28 mars 2020, pour prouver aux prédateurs des droits et des libertés citoyennes en Côte d’Ivoire qu’il fait bon vivre dans nos lieux de détention, ne soit pas fatale aux milliers de prévenus, de détenus et / ou de prisonniers dont certains n’ont, depuis au moins deux ans pour certains, vu aucun juge’’.
Si je dois me plaindre de mes conditions de détentions, que dirais-je donc de celles de ces pauvres autres détenus, qui dorment pour les plus chanceux à 45 voire 55 par cellule ? Certains défilent les matins devant ma cellule, se rendant à l’infirmerie de cette belle prison, pour se voir prescrire du paracétamol pour des maux de ventre ou un simple conseil de bain d’eau de javel pour lutter contre la gale qui leur ronge le corps à vue d’œil.
En ces temps où le Covid-19 fait des ravages dans tous les milieux, prions afin que l’intrusion de Monsieur Boubakar Coulibaly et sa délégation au sein de la prison d’Agboville, le 28 mars 2020, pour prouver aux prédateurs des droits et des libertés citoyennes en Côte d’Ivoire qu’il fait bon vivre dans nos lieux de détention, ne soit pas fatale aux milliers de prévenus, de détenus et / ou de prisonniers dont certains n’ont, depuis au moins deux ans pour certains, vu aucun juge.
Dans tous les cas, les autorités ivoiriennes ne doivent pas attendre la survenance du pire dans les prisons de Côte d’Ivoire où circulent la tuberculose, la gale et les transmetteurs de virus mortels, pour mettre fin à toutes les formes de privation de libertés pourtant protégées par la constitution.
-L’heure ne doit plus être à la politique pour :
-La libération des détenus politiques et militaires ;
-La libération des détenus d’opinions ; -La libération des otages politiques ;
Les failles du système sanitaire de Côte d’Ivoire ajoutées aux failles de la justice ivoirienne recommandent la libération de tous les détenus en attendant qu’un jour dans un Etat de droit, retournent en prison ceux doivent y être.
Alain Lobognon
NB: le titre est de la rédaction
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