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[Côte d’Ivoire/7 mois après le déguerpissement] Les activités reprennent sur les décombres à Yopougon


07 mois après leur retour, les commerçants sont confrontés au paiement des taxes municipales…

Abidjan, 03-08-2020 (lepointsur.com) Plusieurs petits commerces des sous-quartiers de la commune de Yopougon ont connu un déguerpissement, à la veille des fêtes du Nouvel An. Sept mois plus tard, tous les sites ont été reconquis par les occupants. Reportage…  

En décembre 2019, le maire de Yopougon, Gilbert Kafana Koné, a entrepris une vaste opération d’assainissement de sa commune. Du sable au quartier Yopougon-attié ainsi qu’au carrefour Chu, en passant par Siporex et au nouveau goudron, les maisons de commerces et d’habitation ont subi la force des bulldozers, y compris les stations de service.Tout a été rasé quelques jours après le déguerpissement du mythique espace gastronomique et commercial ‘’Ficgayo village’’ et ses abords.

Sur l’axe Sable-Siporex, tous les magasins, gares de compagnies de transports ou étalages construits sur le domaine public ont été réduits en amas de gravats. Le long des artères allant du feu de l’ancienne gare routière, de l’Union des transporteurs de Bouaké (Utb), au carrefour du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yopougon n’a pas été épargné

et de la Brigade mondaine (PH/LPS)

Yopougon doit accueillir des projets structurants dont la voie Y4 qui partira d’Abobo à Dabou en passant par Yopougon

C’était dans la perspective de recevoir un projet comme l’a expliqué Gilbert Kafana en présence de son conseil lors de la réunion municipale, le 9 décembre: « Yopougon doit accueillir des projets structurants dont la voie Y4 qui partira d’Abobo à Dabou en passant par Yopougon. Nous ne pouvons pas recevoir ces projets en demeurant dans l’anarchie, l’insalubrité, etc. »

Yéo Adama, directeur technique de la mairie de Yopougon, annonçait à un confrère du quotidien Le Jour plus que « les trottoirs de cette partie de la commune et bien d’autres seront libérés d’ici à la fin de l’année 2019 ».En cette période de fêtes, contre mauvaise fortune, les délogés ont fait bon cœur.

Depuis notre déguerpissement pour l’aménagement de la voirie menant vers l’église catholique, confie-t-il, rien n’est encore fait

Les vendeurs de bois…

«Nous avons perdu beaucoup d’argent lors de notre déguerpissement. Un responsable de la mairie avait promis de nous laisser sur le site moyennant une certaine somme. Nous avions donc levé une cotisation et respecté notre part du deal. Malheureusement, à notre grande surprise, nous avons été tirés de notre sommeil par les vrombissements des moteurs d’engins venus tout détruire sur leur passage quoique l’opération ait été prévue pour le mois de février 2020 », se souvient Marie-Louise 50 ans, mère de six enfants, propriétaire d’un  débit de boissons à Gabriel-Gare. Sept mois après leur déguerpissement, les projets structurants urgents tardent à se concrétiser et l’anarchie, l’insalubrité  l’une des sources qui ont amené le maire à jeter des populations vulnérables et autres gagne-pain à la rue sont de retour. Elles se sont même amplifiées. Toutefois, elle devra s’acquitter de la somme de 5000 FCFA de la Brigade mondaine pour justifier sa présence sur le site. «Après le déguerpissement, nous avons reçu des convocations du 16e arrondissement de Yopougon sur lesquelles il est indiqué que nous devons nous acquitter du montant de 5000 FCFA/an. Nous nous sommes enregistrés et sommes donc à l’abri des mauvais payeurs et agresseurs », explique-t-elle, avant d’ajouter qu’elle déboursait à l’époque 10 000 FCFA tous les trois mois, pour le renflouement des caisses de la mairie jusqu’à ce que la démolition du site survienne.  « Nous ne pouvons plus rester à des heures avancées sur notre lieu de travail parce que depuis la démolition du site, nous n’avons plus d’électricité. Ce qui  attire les brigands et voleurs de tout acabit. Que l’Etat de Côte d’Ivoire nous trouve un site approprié afin que nous puissions quitter ce site définitivement », soupire dame Marie-Louise. Aussi, soutient-elle,

...tout comme les transporteurs ont reconquis le site (PH/LPS)

« cela fait la sixième  fois que je suis témoin de ces déguerpissements, et chaque fois, de nouvelles personnes reviennent s’y réinstaller tandis que les anciens perdent leur place. Voilà pourquoi nous refusons de partir. Cela fait 32 ans que j’exerce sur ce site. Compte tenu de cette situation, j’ai plusieurs mois d’arriérés de loyers. Les propriétaires de maisons nous menacent d’expulsion. Nous nous entêtons à rester sur ce site parce que de toutes les façons, à chaque nouveau maire, un nouveau déguerpissement. Nous sommes habitués »

Aujourd’hui, les espaces rasés présentent un nouveau décor : les bâtisses détruites ont fait place à des centaines de bâches et des abris recouverts de sachets plastiques noirs. Gabriel-gare défiguré, hideux, renaît petit-à-petit de ses cendres. Un peu plus loin, la gare des transporteurs  et l’ancien site de la société UTB grouillent de monde.

Depuis notre retour sur le site, la police municipale a effectué plusieurs tentatives d’encaissement de la patente, y compris le service d’Hygiène et la brigade mondaine qui nous ont remis des convocations.

De petites vendeuses d’eau en sachet et diverses marchandises se faufilent entre les véhicules et minicars  proposant leurs produits à des voyageurs. Ces petits commerces sont le lieu de débrouillardise de certains élèves et étudiants comme Joël Yao, 29 ans serveur au maquis ‘’Gaby show’’depuis quatre ans. Son témoignage illustre parfaitement cet état de fait.

M.Koutounan Joseph, président des propriétaires de maquis et de restaurants de Yopougon

« Nous avons reçu des mises en demeure avant le déguerpissement, mais la police municipale n’a pas respecté la date prévue pour le mois de février 2020.Nous avons été réveillés, en plein mois de décembre, par les engins mobilisés pour la destruction de nos commerces. Nous avons beaucoup perdu. Depuis le déguerpissement, nos chiffres d’affaires ont considérablement baissé. Les clients fréquentent difficilement nos établissements à cause de l’insécurité », fulmine l’ex-élève que la situation financière des parents oblige à se convertir en serveur de boissons dans un débit d’alcool. Aussi bien que sous-payé, (Ndlr : 25 000 FCFA/mois) Joël n’entend pas abandonner cette activité qui, à l’en croire, lui permettra de poursuivre ses études. « Depuis notre retour sur le site, la police municipale a effectué plusieurs tentatives d’encaissement de la patente, y compris le service d’Hygiène et la brigade mondaine qui nous ont remis des convocations. Mais pour l’heure, nous n’avons encore rien payé», indique le natif de Bondoukou. Dans des immondices de pierres, déchets et eaux usées, femmes, hommes et jeunes exercent, la peur au ventre, leurs activités commerciales sous des bâches et des ombrelles  de tous genres.  Du carrefour Sable, non loin de la station Shell au premier pont, jusqu’au Nouveau goudron, vendeurs de matériaux  de construction (sable, gravier, tôles,  briques …), restauratrices, gérants de maquis et bistrots, transporteurs des différentes compagnies telles que SBTA, ST, OT, MT et vidangeurs ont reconquis le site. « La nature a horreur du vide ». Cet adage illustre bien ce retour massif des délogés d’autant qu’aucun réaménagement n’y est effectué plusieurs mois après sa démolition. « Contrairement au maire Cissé Bacongo qui mène des actions de grandes envergures après la démolition de plusieurs commerçants et surtout le déguerpissement des transporteurs  du grand carrefour de Koumassi, rien n’est entrepris sur le sites. C’est donc tout à fait normal que les gens reviennent», accuse  N’Cho Paul, enseignant dans une école professionnelle de la place.

Des vendeurs de poulets...

 Contrairement à ses prédécesseurs, M. Koutouan Joseph, président des propriétaires de maquis et restaurants de Yopougon des sections Wassakara, Siporex, Sogefia, Sable et Gabriel-gare indique que le déguerpissement a défiguré la ‘’Rue princesse‘’ de Gabriel-Gare, avec l’installation anarchique des maquis et autres commerces qui foulent au pied les règles de l’hygiène.

«Depuis notre déguerpissement pour l’aménagement de la voirie menant vers l’église catholique, confie-t-il, rien n’est encore fait. Tous les commerces sont installés de façon anarchique et désordonnée. Mais, Dieu merci, les cas de vols et d’agressions ont diminué. Les voleurs n’ont plus d’endroit où se cacher après leurs opérations.»

Estimant que le déguerpissement n’a nullement impacté leurs activités commerciales et dénonçant la pandémie à coronavirus, le président des propriétaires de maquis et restaurants souhaite le déconfinement des bars dont la fermeture depuis bientôt quatre mois, les contraindra à mettre la clé sous  paillasson.

aux propriétaires de bistrots….

Avant notre déguerpissement, les autorités municipales ont promis de nous trouver un autre site. Mais sept mois après, rien n’est fait

Entre poussière et les klaxons des véhicules, nous nous frayons tant bien que mal  un passage pour rencontrer le premier responsable des transporteurs. Approché, il  confie que leur retour est la conséquence du non-respect de la  promesse à eux faite. « Avant notre déguerpissement, les autorités municipales ont promis de nous trouver un autre site. Mais sept mois après, rien n’est fait. C’est ce qui explique notre retour sous la haute tension. Nous sommes conscients du danger auquel nous nous exposons mais nous n’avons pas le choix. Le nouveau visage que présente la gare de Gabriel ne reflète pas l’image de notre Côte d’Ivoire qui se veut un pays émergent. Aujourd’hui, il n’y a plus de sécurité : des individus s’adonnent à la drogue sans même être inquiétés », regrette le secrétaire général.

en passant par les tenanciers de maquis, tous sont de retour , 07 mois après leur déguerpissement (PH/LPS)

A l’image de Gabriel-gare, l’Espace Ficgayo n’a pas échappé aux bulldozers de la mairie de yopougon. Ce, dans le cadre du processus de restructuration et d’assainissement de ces espaces. Toutefois, après leur délogement de force,  les commerçants ont reconquis le site. C’est le cas de Yao Thomas vendeur d’accessoires de portables, qui ne cache pas son amertume : « Je me demande bien ce qu’ils veulent faire de ce site. Ils pouvaient pourtant attendre d’être prêts.»

Dans la même veine, Dramé Mamadou, vendeur de téléphones portables souligne que leur déguerpissement impacte négativement les recettes de la mairie. Cependant, il dénonce l’attitude des autorités municipales qui, après les avoir délogés, continuent d’imposer le paiement des taxes forfaitaires. « Je suis victime de la saisie de mes marchandises par les agents de la mairie. Je dois débourser la somme de trente mille Francs voire cinquante mille francs, pour rentrer en possession de mes articles », confie-t-il.

Entre espoir et peur, les commerçants ont reconquis les différents sites, en attendant un autre définitif qui tarde.

Opportune BATH

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