[Côte d’Ivoire 26e Journée mondiale de la liberté de la presse] RSF, L’OLPED, L’UNJCI, L’ONJI-CI, LE SYNAPPCI et des journalistes se prononcent
Dans le cadre de la 26e Journée mondiale de la liberté de la presse qui aura lieu ce vendredi 3 mai 2019, la rédaction du pointsur s’est entretenue avec des responsables d’organisations de journalistes et des journalistes pour avoir leur regard sur la liberté de la presse en Côte d’Ivoire.
Baudelaire Mieu, représentant RSF Côte d’Ivoire : « Il y a moins d’atteintes à la liberté de la presse, mais … »
En 2018, Reporters sans Frontières (RSF) a enregistré moins d’atteintes à la liberté de la presse en Côte d’Ivoire. Mais les agressions contre les journalistes de la part des forces de l’ordre, notamment en marge des manifestations, n’ont pas disparu et témoignent de la nécessité de continuer à les sensibiliser aux droits des professionnels de l’information.
La nouvelle loi sur la presse précise qu’aucun motif ne justifie l’emprisonnement de journaliste. Un progrès qui doit mettre fin à la détention provisoire des journalistes, qui est une pratique régulière dans le pays. En 2017, huit (8) d’entre eux en ont été victimes. D’autres dispositions sont plus liberticides, comme le délit d’offense au chef de l’Etat ou la possibilité d’engager des poursuites pour diffamation pour des faits, même vérifiés, s’ils concernent la vie privée de la personne. Enfin, la libéralisation promise du secteur de l’audiovisuel se fait toujours attendre, et malgré les promesses du président ivoirien, aucune avancée notable n’a été enregistrée dans l’enquête concernant la disparition, il y a 15 ans, du journaliste Guy-André Kieffer.
Zio Moussa, président du comité de direction de l’Observatoire de la liberté de la presse, l’éthique et de la déontologie (OLPED) : « La liberté de la presse implique plusieurs paramètres »
Il y a eu une nouvelle loi pour laquelle beaucoup de journalistes se sont battus et cette loi a été promulguée et nous pensons que cette loi contient certaines avancées sur la liberté de la presse. Mais une seule loi ne suffit pas pour faire la liberté de la presse. La liberté de la presse, c’est aussi la solidité économique et financière des entreprises de presse. Or, justement les entreprises de presse en Côte d’Ivoire ne se portent pas très bien. Est-ce la faute des pouvoirs publics ? Est-ce la faute des entrepreneurs de presse ? Est-ce la faute des journalistes ? Nous pouvons diagnostiquer et relever plusieurs points.
La liberté de la presse aussi, c’est bien évidemment le soutien des pouvoirs publics à l’entreprise de presse et à l’amélioration du statut du journaliste. Est-ce que les entreprises de presse ivoirienne bénéficient de suffisamment de soutien de la part des pouvoirs publics ? On peut dire ‘’oui’’ à travers le fonds de soutien et de développement de la presse (Fsdp). Mais cette année, il y a eu beaucoup de discussions, beaucoup de mécontentements parce que c’est plutôt le distributeur qui a eu droit au soutien des pouvoirs publics.
Dans ce cas, que deviennent les entreprises de presse ? La liberté de la presse ce sont aussi les journalistes qui l’apportent. Est-ce que nous journalistes nous utilisons à bon escient cette liberté que nous avons ou nous restons de façon indécrottable soumis, assujettis aux indications, aux aspirations des hommes politiques ou des partis politiques dont nous sommes proches. Est-ce que nous mêmes journalistes, nous ne travaillons pas contre la liberté de la presse ? La liberté de la presse, c’est aussi le public destinataire de l’information. Est-ce que ce public participe-t-il véritablement à la liberté, surtout à la consolidation, au renforcement de la liberté de la presse par ces critiques aux pouvoirs publics, par ces critiques aux journalistes sur la façon dont les journalistes exercent leur métier ? Je ne crois pas pas que les organisations de la société civile se battent beaucoup pour la liberté de la presse en Côte d’Ivoire. Certaines le font, mais la grande majorité reste presque indifférente à la question de la liberté de la presse.
Moussa Traoré, président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (Unjci) : « La situation est relativement meilleure…»
C’est vrai que la liberté de la presse est permanente. Mais si on regarde d’où nous venons, on peut dire que la situation est relativement meilleure que celle des années antérieures. La preuve, la Côte d’Ivoire vient de gagner 11 places dans le dernier classement de RSF, sur la liberté de la presse.
Je pense donc qu’à l’étape actuelle de la situation, la Côte d’Ivoire mérite d’intégrer le top 50. Néanmoins, il y a encore des efforts à fournir. C’est pourquoi, nous invitons les autorités et tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir à continuer à respecter cette liberté des journalistes afin qu’ils puissent travailler dans des conditions plus sereines.
Guillaume Gbato, secrétaire générale du syndicat national des professionnels de la presse de Côte d’Ivoire (Synappci) : « C’est une situation contrastée, mitigée »
C’est une situation contrastée, mitigée. Il y a eu beaucoup d’efforts en ce qui concerne les textes, notamment des lois sur la presse écrite. Même si sur la communication audiovisuelle, particulièrement les radios de proximité, les efforts que nous avons souhaités pour améliorer le concept et le rendre favorable à un exercice plus libre du métier de journaliste n’ont pas été pris en compte par le gouvernement.
On peut globalement noter que la situation s’est améliorée au niveau des textes bien qu’il y ait encore beaucoup d’entraves à l’exercice du métier dans ces radios. Cependant, il n’y a pas que les textes. Quand on regarde l’environnement socio économique des médias en Côte d’Ivoire, on voit bien qu’il est marqué par la précarité.
Les journalistes ivoiriens demeurent dans la peur du lendemain à cause des licenciements abusifs, des salaires incorrects et inadéquats. Les journaux ne se distribuent plus correctement, conséquence : toutes les entreprises de presse, en tout cas, hybrides, sont en quasi faillite.
Pareil pour les médias audiovisuels qui ne sont pas accompagnés de mesures qui permettent le plein exercice du métier de journaliste. C’est une situation mitigée.
Les textes s’améliorent, certes, mais il ya des efforts à faire dans un environnement marqué par la précarité, et où l’exercice du métier est encore aléatoire.
Sériba Koné, président de l’Organisation nationale des journalistes d’investigation de Côte d’Ivoire (ONJI-CI) : « La loi relative à l’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics se heurte à un mur»
Il y a des avancées qu’il faut saluer, quand on s’en tient au classement 2019, de Reporters sans Frontières (RSF). En revanche, pour nous, journalistes d’investigation, la loi n° 2013-867 du 23 décembre 2013, relative à l’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics, se heurte à un mur de roc.
Plusieurs institutions publiques ivoiriennes rament contre la volonté du chef de l’État d’appliquer cette loi, malgré les activités de sensibilisation que mène le président de cette institution, Kébé Yacouba.
Le président qui, heureusement, est journaliste, a tout mis en œuvre avec son équipe afin que dans chaque institution publique, les journalistes aient un point focal. Malheureusement, nos interlocuteurs de ces institutions qui ont reçu des formations de cette commission, demeurent toujours réticents sur les documents pouvant nous servir à mieux informer nos lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs.
À son chapitre II, article 6 intitulé : informations et documents communicables, par exemple, voici ce qui est écrit et qui n’est pas mis en pratique sur le terrain: « Les documents publics sont communicables, notamment les dossiers, rapports, études, documents d’orientation ou de politiques publiques, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes de service, avis, prévisions, décisions et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit ou une description des procédures administratives. »
Nous disons que, pour aider le chef de l’État à ce que les journalistes donnent la bonne température de ce qui se passe dans le pays, il faut que les institutions publiques appliquent à minima la loi.
Fernand Dedeh, journaliste indépendant : « La liberté de la presse c’est 365 jours »
La liberté de la presse est une quête permanente. Il n’y a pas une journée pour la liberté. Il y a 365 jours sans relâche. Sans laisser de possibilité aux prédateurs d’agir sous divers artifices, pour brimer, embrigader, encastrer la liberté. Le 3 Mai est juste un pont pour jeter un coup d’œil sur les acquis et les combats qui restent à mener.
Propos recueillis par Boubakar Barry
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