Constitution ivoirienne /Article 35 : Mamadou Koulibaly (Pdt de Lider) donne des explications


Chères Ivoiriennes, chers Ivoiriens,

Mamadou Koulibaly, président de Lider (Ph: Dr)

Mamadou Koulibaly, président de Lider (Ph: Dr)

A la suite de mon interview sur Bbc, plusieurs personnes m’ont envoyé des messages pour me dire qu’elles ne comprennent pas ma position sur le débat sur l’éligibilité de Ouattara, que j’ai qualifié de faux débat. En synthétisant, on peut résumer leurs questionnements de la façon suivante : Le problème que pose l’article 35 de la constitution à Ouattara ne peut être banal. Ou bien on respecte notre constitution et on l’applique, ou bien on la balaie d’un revers de main et c’est la porte ouverte à toutes sortes d’abus. Marcousis ne saurait supplanter la loi fondamentale. Les accord de Marcoussis ont été faits dans un contexte bien particulier et sont donc à présent caducs. Je remercie toutes ces personnes pour leur intérêt pour la question. Je vais m’expliquer et j’espère arriver à les convaincre que ce débat est sans intérêt pour ceux qui veulent que la Côte d’Ivoire avance et tourne le dos à toutes ces années d’ivoirité. Je comprends leur raisonnement. Laurent Gbagbo, alors président de la république, a utilisé l’article 48 de cette même constitution selon lequel «Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du Président de l’Assemblée nationale et de celui du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par message. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit». L’une des mesures exceptionnelles après l’accord de Pretoria aura été de rendre éligible Ouattara, qui ne l’était pas, pour les élections de 2005 qui n’ont pu se dérouler, en définitive, qu’en 2010, sans qu’il n’y ait eu une nouvelle décision exceptionnelle pour valider la candidature de Ouattara.

 

Pour moi, la décision prise à Pretoria était illégale et anticonstitutionnelle. La non prise d’une nouvelle décision en 2010, au moment des élections, était aussi illégale. Seulement, alors que l’on pensait ces décisions circonstancielles dans le temps, elles ont conduit à l’installation de Ouattara comme président de la République de Côte d’Ivoire. Et en tant que tel, il remplit nécessairement et par définition les conditions l’article 35. Notre pays peut avoir des candidats à la présidence de la République à titre exceptionnel, mais ne peut avoir de président de la République à titre exceptionnel.

Comme le soutenait un des grands défenseurs de l’accord de Marcoussis, le professeur Jean du Bois de Gaudusson de la faculté de droit de Bordeaux dans un article intitulé «L’accord de Marcoussis, entre droit et politique» dans la revue Afrique Contemporaine 2003/2 (no 206) page 41à 55, en cas de crise grave, on peut sortir du droit, trouver des solutions politiques à la marge du droit dans des fabriques de réconciliation et revenir légaliser les solutions politiques qui auront alors force de droit. Marcoussis, Accra, Pretoria et Ouagadougou étaient toutes ce type de fabrique et Gaudusson écrit :«Dans ces conditions, il reste au droit et aux juristes à reconnaître, plutôt que de se livrer à une course poursuite avec les faits, vouée à l’échec, qu’ils rencontrent des bornes, que tout ne saurait se régler en pure logique du droit et sur son seul terrain, et qu’il est des épisodes, souvent les plus dramatiques, de la vie politique qui leur échappent. Si leur objet est juridique, l’accord de Marcoussis comme ses homologues sont d’abord des accords politiques dont la force ne tient que par la volonté et le consensus de leurs auteurs et de ceux qui ont facilité sa conclusion Mais c’est en fin de compte au droit que reviendra le dernier mot lorsque la situation de non-droit et la crise à la résolution de laquelle il peut contribuer seront surmontées et que sera venu, revenu, le temps des accords juridiques à contenu politique.»

La question pour moi est donc close. Nous avons illégalement légalisé une candidature qui ne pouvait l’être. L’illégal étant devenu le légal protecteur de la loi fondamentale, il n’est plus possible de faire machine arrière, sauf à vouloir tourner en rond et retarder la marche de notre pays vers le progrès social. Ouattara a voté en Côte d’Ivoire. Il est donc détenteur d’une carte nationale d’identité et d’une carte d’électeur. Pour moi, remettre sur la table son éligibilité c’est faire marche arrière. Il aurait fallu ne pas accepter Marcoussis, Accra, Pretoria et Ouagadougou. Ces accords politiques ont, semble-t-il, donné une solution politique à la crise ivoirienne, que nous avons légalisée par le vote de 2010 qui a servi en même temps, à la fois d’élection présidentielle et de referendum sur une nouvelle constitution qui reste maintenant à écrire.

A mon sens, la constitution actuelle est mauvaise, mais pas au niveau de l’article 35. Elle l’est parce qu’elle permet à une personne, toute seule, d’imposer l’illégalité au peuple entier, pourtant présenté comme souverain par la même constitution. Elle donne trop de pouvoir au président de la République. Elle ne laisse aucune possibilité de saisine du conseil constitutionnel au peuple de Côte d’Ivoire. C’est le régime présidentiel qui pose problème, et non l’article 35.

Je trouve drôle que ceux qui ont signé et défendu Marcoussis et ses avatars comme étant des moyens d’accession à la paix soient aujourd’hui en train de revenir sur leurs discours de 2003-2010. Ils voulaient la paix par Marcoussis, ils ont eu la paix de Marcoussis. N’avons-nous pas toujours besoin de paix? Notre quête de paix est-elle achevée? N’était-elle qu’exceptionnelle, circonstancielle de temps ? Pour moi non. La paix doit être permanente. Et plus que jamais nous avons besoin de cette paix. En autorisant Ouattara à être exceptionnellement candidat, les défenseurs de Marcoussis et Pretoria pensaient-ils qu’il ne pouvait que perdre aux élections? S’ils l’ont pensé, alors ils ont été légers. Car quand on va à des élections, il n’y a pas qu’une issue au vote, mais deux: soit on gagne, soit on perd. Ouattara a joué et a gagné. Il a du même coup acquis tous les pouvoirs et les droits reconnus au président de la République et aux Ivoiriens. A mon avis, c’est un acquis de notre histoire qui aurait dû mettre fin, en principe, à l’ivoirité, n’eut été la volonté de rattrapage ethnique du président Ouattara.

Il ne s’agit plus de discuter de l’illégalité, de la légalité ou de l’éligibilité de Ouattara à la tête de l’Etat, mais plutôt de l’illégalité des actes de gouvernement de Ouattara. Respecte-t-il son serment ou pas? Viole-t-il la constitution ou pas? Telles sont les questions qui devraient nous mobiliser aujourd’hui et demain. S’il y a un vrai débat à avoir autour de l’article 35, c’est celui qui consistera à savoir si oui ou non nous permettrons à Ouattara de modifier la constitution pour y ajouter une vice-présidence, changer la durée du mandat présidentiel et modifier les conditions d’âge contenues dans cette disposition. Dans ce vrai débat, on ne se demande pas seulement si le président Ouattara peut faire légalement ces changements constitutionnels, mais plutôt si nous allons le laisser faire sans réagir ou si nous allons lui barrer la route. Quand un peuple dort alors que la démocratie est en danger, il se réveille sous la dictature. Réveillez-vous donc !

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