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#Civ Éveiller la conscience politique des jeunes : une issue possible aux impasses de l’histoire !


M. Pascal Roy présentant l'une de ses oeuvres au PAN Guillaume Soro à Abidjan (Ph:Dr)

M. Pascal Roy présentant l’une de ses oeuvres au PAN Guillaume Soro à Abidjan (Ph:Dr)

Abidjan, le 14-5-15 (lepointsur.com)-Jusqu’ici, nous étions plus ou moins persuadés, selon la formule optimiste de Marx, que « l’humanité ne pose que les problèmes qu’elle peut résoudre » ; Nous savons aujourd’hui que, malheureusement, il y a bien des problèmes que nous ne savons pas résoudre. Ainsi, toutes les enquêtes montrent que, loin d’être indifférents, les jeunes sont très préoccupés par l’avenir de la planète. D’ailleurs, les associations, les publications, les films écologiques et humanitaires touchent beaucoup les jeunes… Même s’ils ne savent pas toujours très bien comment ils peuvent agir, ni même, s’ils peuvent agir. Devant l’importance des enjeux mondiaux liés aux conflits, à la pauvreté, à la famine, ils se sentent dépassés. Et on le serait à moins.

Quarante-sept ans après Mai 1968, je ne suis pas vraiment certain que la conscience politique des jeunes ait baissé. Mais cette conscience a évidemment changé de forme et notre environnement médiatique, politique, institutionnel n’y est pas étranger. Je crois qu’aujourd’hui, les jeunes générations sont inquiètes. Elles ont toutes les raisons de l’être : le monde est mal en point. Leurs aînés l’ont malmené et usé jusqu’à la corde. Et nous  découvrons trop tard les dégâts qu’ils ont faits. Nous découvrons aussi les conséquences terribles de l’égoïsme des privilégiés. Nous découvrons, enfin, que nous ne disposons pas de solutions pour bien des problèmes que nous rencontrons. Et nous devons en rabattre de notre superbe.

À l’autre bout de l’échelle, les jeunes sont très inquiets de leur avenir personnel. Ils savent que rien ne sera facile pour eux, que la précarité les guette et qu’elle risque de les toucher tant sur le plan professionnel que personnel. Ils voient bien que la société exalte les gagnants et se moque du « maillon faible ». Ils constatent que le jeu social devient de plus en plus proche des émissions de téléréalité : on s’aime, mais on n’hésite pas à poignarder ses amis pour prendre leur place. Et ils se sentent démunis devant tout cela : ils le désapprouvent majoritairement, je crois, mais se sentent piégés et obligés de participer malgré eux à une course inhumaine et truquée. Ainsi les jeunes sont pris entre deux dimensions opposées sur lesquelles ils ont envie d’agir, mais n’ont pas l’impression de pouvoir le faire : notre destin collectif, d’un côté, et leur destin personnel de l’autre. Et pourtant cela est possible à travers l’éveil de la conscience politique pour agir sur les événements.

Pour que la conscience politique des jeunes puisse se révéler et s’exprimer, il faudrait faire exister des lieux intermédiaires de militance possible, à taille humaine. Des lieux où les jeunes puissent s’organiser et avoir les moyens d’exercer un certain pouvoir. Un pouvoir accessible et utile. Il faut des lieux et des cadres pour discuter, voire se disputer démocratiquement, et avoir prise sur quelque chose… Or, la société n’a pas fait du développement de ces lieux une priorité. Tout au contraire, les jeunes sont cantonnés dans des pratiques très individuelles qui organisent la concurrence, à l’école comme devant l’ordinateur. Dans le domaine médiatique, les jeunes sont traités essentiellement comme des consommateurs : c’est un marché sur lequel les industriels sont très « agressifs ». Partout on les utilise, mais rarement on leur demande leur avis sur des questions importantes. Même au lycée, les délégués peuvent parfois obtenir un banc sous le préau, mais très rarement agir sur l’organisation des emplois du temps, le calendrier des contrôles ou l’équilibre du travail individuel et du travail collectif au sein des cours eux-mêmes. Les jeunes sont confinés dans des positions de caution ou de contestation qu’on leur reproche ensuite. Au lieu de les associer, de manière constructive, à tous les échelons de la vie de la Cité, on les marginalise et on leur reproche ensuite de se contenter de « profiter et de râler ».

Je ne crois pas que les jeunes soient mutiques. Je crois qu’ils sont souvent hypnotisés, parfois tétanisés, très souvent seuls et inquiets. Il faut que notre sociéleur fasse une vraie place. Et qu’ils se battent pour l’obtenir. Je suis inquiet aujourd’hui de deux choses : du monde que nous laisserons aux jeunes et des jeunes que nous laisserons au monde, pour parler comme Philippe Meirieu. Mais je fais confiance aux jeunes. Parce que je sais que, quand on leur fait confiance vraiment, ils ne nous déçoivent jamais. En réalité, comme pour chaque gération, l’engagement politique des jeunes et la construction de leur conscience politique se forgent et prennent forme à partir d’un double mouvement, d’une double dynamique: l’ritage et  l’innovation. Il y a des symptômes qu’il faut en effet se garder d’expliquer de façon trop univoque : je ne crois pas, par exemple, qu’il faille interpréter l’abstention ou la faiblesse de l’engagement partisan ou syndical des jeunes comme un signe de dépolitisation. Pour ce qui est de la désaffection envers les partis politiques, cela me parait correspondre à une demande, de la part des jeunes, de changement dans les pratiques militantes auxquelles ces plus ou moins « vieilles maisons » ne parviennent pas à pondre et il est vrai qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne réunion politique à une heure improbable pour décourager les bonnes volontés.

Les partis politiques ne correspondent plus aux modes d’action de la jeunesse. Le militantisme des jeunes est un militantisme de cause, plus qu’un militantisme idéologique, ce qui induit un relâchement des identifications partisanes comme des allégeances politiques. Si le discours est désidéologisé, il n’en est pas moins politisé et les questions sociales ou de justice sont au cœur de la conscience politique de la jeunesse. Les jeunes se mobilisent fréquemment pour des causes humanitaires, pour dénoncer le racisme, pour défendre des valeurs de solidarité notamment ou la cause des sans abris. L’action politique de la jeunesse correspond souvent à un engagement sur le temps court, sur des enjeux précisément déterminés, avec un objectif de résultat immédiat. Le tissu associatif répond aujourd’hui mieux à cette forme d’engagement spontanée. Pensez aux actions conduites par « génération précaire »,  « les enfants de Don Quichotte » ou « Jeudi noir » avec parfois le sel de la désobéissance civile. Vous noterez, dans l’inventivité, l’imagination et le caractère subversif de certaines mobilisations que je viens d’évoquer les lointains échos créatifs et contestataires des bouillonnantes années 60…

Ce qu’il y a de commun entre le désamour pour les partis traditionnels et l’abstention, ce sont les questions que cela pose aux femmes et hommes politiques, relatives aux pratiques politiques, au fonctionnement des partis politiques, à l’organisation institutionnelle de notre démocratie, bref à la crise de la représentation politique que notre monde traverse et devra surmonter. Il faut oxygéner la pratique de la politique, en la rendant à la fois libérée et apaisée. Une politique participative, interactive, élective et transparente qui prendra la forme de pratiques militantes rénovées et dématérialisées.

Faire en sorte que l’immense majorité des jeunes de notre monde aient une conscience politique et patriotique élevée, soient éduqués, soient conscients de leurs devoirs et contribuent au développement démocratique et socio-économique des nations.

Jeunes du monde, sachez inventer des outils pour réveiller votre conscience politique si voulez que la société vous fasse une vraie place, place d’ailleurs que vous devrez vous battre pour obtenir. Car, pour changer les choses, il faut être à l’intérieur à défaut de faire partie des initiateurs. En ce moment précis, me viennent à l’écran de l’esprit ce franc sourire, cette voix douce, ces yeux qui pétillent de Habib Yahyaoui, ce jeune conseiller municipal de 22 ans qui a grandi à Saint-Jean (Châteauroux), au sein d’une famille de gauche. Centriste, il a été élu aux côtés de l’UMP, Gil Avérous et qui aime scander humblement: « Ma conscience politique, je la construis tous les jours. » Oui, chers jeunes, construisez chaque jour votre conscience politique en vous engageant dignement dans les débats et projets pour acter et rendre plus certains les destins communs.

La force de la jeunesse est sa diversité, et sa chance, sa présence dans tous les milieux sociaux. Il y a un vrai besoin, dans chaque milieu, de jeunes investis sur le terrain, pour interpeller les leaders politiques, les décideurs étatiques, les acteurs sociaux et leurs aînés souvent émoussés, mais aussi ce travail d’éducation à la politique et de sa pratique. Car la politique, comme la foi et bien d’autres, n’est plus un réflexe naturel. Je ne nie pas, de ce point de vue, qu’il existe des forces historiques et économiques objectives, mais je nie en revanche qu’il y ait une logique déterminée de l’histoire. Avant tout, ce sont nos pensées qui déterminent ce que sera la réalité, et quand la nature de ces pensées change, la réalité change aussi.

En ce sens, la division même entre sphère individuelle et sphère politique qui est à la base de la culture politique moderne me semble être un symptôme d’aliénation. En faisant de la politique un domaine ontologique à part, sous la domination des universels, le pouvoir arrive à ancrer en nous une représentation du monde où le seul plan de réforme possible passe par ses propres structures. Perdant de vue le fait que le Monde tel qu’il va n’est qu’un reflet de nous-mêmes, nous en arrivons alors à croire que la seule façon d’agir « concrètement » passe forcément par une réforme structurelle. Faute de pouvoir tomber sous le coup d’un appareil de mesure qui pourrait entériner son existence, l’intériorité de l’âme est dès lors négligée au profit d’interminables actions politiques, dont l’inutilité va la plupart du temps de pair avec le caractère spectaculaire. La conscience se retrouve ainsi paralysée dans une représentation dichotomique, où elle est d’emblée partagée entre un espace privé et individuel – qui est fondamentalement celui de l’impuissance  et un espace politique et universel, qui est celui de l’efficacité – mais d’une efficacité qui fait cercle.

Or, en réalité, il n’existe aucune opposition entre le domaine politique et le domaine privé. Tout étant interdépendant, chacune de nos pensées peut prétendre « changer le monde ». En tant qu’individus, nous avons tous le pouvoir immanent d’influer sur l’équilibre global. Ce dernier étant déterminé par notre intériorité, tout ce qui ne la prend pas pleinement en compte se situe automatiquement dans l’illusion. C’est ce qui permet de dire que non seulement la prétention du politique à se constituer dans un champ d’universalité autonome ayant les clés du réel est mensongère, mais quelle est encore criminelle, puisqu’elle ne fait jamais que dévaluer la valeur de la réforme individuelle interne, et implanter en l’homme un sentiment foncier d’inutilité. Il suffit pourtant de regarder où cette « urgence de la praxis » a amené la cité pour comprendre que, dans la quasi totalité des cas, elle a simplement servi de stratégie de détournement, aggravant dramatiquement les maux quelle était venue résoudre. Pour un homme de pouvoir, en effet, changer la réalité passe par des schémas économiques, des réformes juridiques, des mouvements révolutionnaires et de grands plans d’ensemble destinés à créer une société nouvelle.

Mais il y a une autre façon de concevoir le rapport de l’homme au monde, qui consiste à voir comment chacune de nos pensées altère la réalité qui nous entoure, et à travailler constamment sur cette révolution intérieure. La fatalité historique, en ce sens, me semble beaucoup moins une caractéristique coextensive du réel que la simple conséquence du fait que, par manque d’expérience, nous ne réussissons pas à rassembler la volonté suffisante pour assumer notre capacité à recréer la réalité. Les crises que nous traversons actuellement sont les signes vivants de nos pensées, de nos craintes, de nos espoirs collectifs : l’histoire est un reflet des luttes qui prennent place dans l’humanité intérieure.

Voilà pourquoi notre époque, en dépit de ses incertitudes, est tellement intéressante. Nous sommes en train de vivre un de ces moments privilégiés où les anciens systèmes interprétatifs sont en train de se dissoudre, et où la réalité dans sa totalité répond par un phénomène de dilatation, qui laisse entrevoir de nouvelles possibilités. Espérons que nous saurons en tirer parti sans céder à la peur de notre propre liberté par l’action engagée des jeunes.

Docteur Pascal ROY

PhilosopheJuristePolitisteCoach politiqueAnalyste des Institutions, expert des droits de l’Homme et des situations de crisesMédiateur dans les OrganisationsEnseignant à l’UniversitéConsultant en RHÉcrivain

 

 

 

 

 

 

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