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Assignation de l’Etat de Côte d’Ivoire, le jeu trouble de Trafigura et Puma Energy


Abidjan, le 29-5-15 (lepointsur.com)-Renvoyée mercredi 28 mai 2015,  l’affaire dans laquelle Trafigura et sa filiale Puma souhaitent que concomitamment l’Etat de Côte d’Ivoire et le Colonel Tibé Bi Balou l’ex-Directeur général des affaires maritimes et portuaires (Dgamp) soient face à elles n’a duré que le temps d’un échange de quelques minutes entre le collège d’avocats des deux parties et le président du Tribunal, sans aucun représentant de l’Etat de Côte d’Ivoire. Après cet autre renvoi de l’affaire, il faut  attendre  4 juin 2015 pour espérer être situé.

Indemnisation du Colonel Tibé Bi Balou/ Trafigura et Puma Energy le dos au mur

L’ex-Dg de la Dgamp, le Colonel Tibé Bi Balou quant à lui, « réclame dommages et intérêts »(Photo du 28-5-15)

L’ex-Dg de la Dgamp, le Colonel Tibé Bi Balou quant à lui, « réclame dommages et intérêts »(Photo du 28-5-15)

L’affaire du Probo Koala, cette catastrophe environnementale et humanitaire des temps modernes, survenue en Côte d’Ivoire le 19 août 2006 qui a provoqué la mort de 17 personnes et l’intoxication de dizaines de milliers de personnes, au Port Autonome d’Abidjan (PAA) semble n’émouvoir outre mesure, les auteurs  de cette catastrophe humanitaire. A ce jour, Trafigura refuse non seulement de reconnaître sa responsabilité, mais aussi assigne l’Etat de Côte d’Ivoire  devant les tribunaux. L’ex-Dg de la Dgamp, le Colonel Tibé Bi Balou quant à lui, « réclame dommages et intérêts ».

En effet, jusqu’au 4 août 2006,  le Colonel Tibé Bi Balou occupait les fonctions de DG de la Dgamp au  ministère des Transports de la République de  Côte d’Ivoire. Suite au scandale du Probo koala,  il a été arrêté le 11 septembre 2006, « pour délit d’importation de déchets toxiques ayant occasionné mort d’hommes, » après avoir été précédemment limogé. L’ex-Directeur des affaires maritimes et portuaires a été blanchi dans cette affaire le 14 février 2007 par la justice ivoirienne. Entre temps, l’officier des affaires maritimes et portuaires a perdu son poste à la Direction de la Dgamp. Aussi, traduit-il  le 18 décembre 2014, la société Trafigura devant les tribunaux pour réclamer réparation, de dommages et intérêts,  portant sur la rondelette somme de 300 milliards Fcfa, soit 457.351.932 Euros, environ 460 millions d’Euros.

Aussi curieux que cela puisse paraître, la société Trafigura qui a été reconnue coupable,  jugée et  condamnée par un tribunal des Pays-Bas, le 23 décembre 2011 pour les mêmes faits  assigne l’Etat de Côte d’Ivoire en justice. En outre,  l’on a encore en mémoire que Trafigura assure avoir communiqué aux autorités ivoiriennes la nature des déchets et dit s’être assurée au préalable de leur « élimination sûre ». Trafigura a expliqué qu’il s’agissait de « slops », des déchets maritimes, des boues qui restent au fond des citernes des navires.

Le 24 septembre 2006, Trafigura a indiqué qu’elle disposait de tests indiquant la « teneur toxique très faible » de ses « eaux de nettoyage ». Les résultats proviennent du laboratoire Saybolt, à Rotterdam, dont un des responsables, Jan Heinsbroek, a émis des doutes sur les échantillons qu’il a expertisés. Selon toujours Trafigura, « aucune trace » d’hydrogène sulfuré n’apparaît. « C’est de l’eau sale », avait-on fait croire aux chauffeurs des citernes qui déverseront le produit dans le district d’Abidjan.

Le porte-parole des chauffeurs des citernes, Bakayoko Mamadou dans une interview accordée à un confrère le 18 février 2014, a confirmé la supercherie de Trafigura quant à la toxicité du produit. « Oui, elle (société Ndlr : Tomy) a été trompée. Sa facture qui s’élevait à 10 millions FCFA, n’a pas été payée. Si elle savait que c’était une affaire de ce genre, elle n’aurait jamais accepté le deal. Le Directeur de la société Tomy a passé tout le temps avec nous au quai. Mais, il n’a rien su. Un kamikaze ne met pas une bombe sur lui à la maison. Ce sont des hypothèses qui me font dire que cette société a été trompée, » explique le porte-parole des chauffeurs pour montrer le vrai visage de Trafigura.

 Le jeu dangereux de Trafigura et de sa filiale Puma Energy  

Selon une source judiciaire, en matière de signature de protocole d’accord d’une affaire comme celle de déchets toxiques classés dans les mêmes catégories que les déchets nucléaires, la seule institution habilitée en Côte d’Ivoire,  c’est l’Agence judiciaire du Trésor (l’Ajt) rattachée au ministère de l’Economie et des Finances. En effet, au sein de cette institution,  il y a des magistrats qui représentent le conseil de l’Etat. C’est donc l’Ajt en collaboration avec  le ministère de la Justice qui  élaborent le protocole d’accord et non un conseiller de Président,  fusse-t-il juriste. Ce qui signifie que l’accord sur lequel Trafigura et sa filiale s’appuient pour assigner l’Etat de Côte d’Ivoire et le Colonel Tibé Bi Balou en justice est nul et de nul effet. 

« Je conseille à toutes et tous, malgré son rang et qualité en Côte d’Ivoire de se ressaisir et laisser la justice faire librement son travail. Que la vie, la carrière et la dignité d’un cadre ne soient pas détruites pour les besoins mercantilistes d’une classe africaine assoiffée, particulièrement ivoirienne. En dommages et intérêts, je ne réclame que la modique somme de 460millions d’euros. Ce que Trafigura n’est pas incapable de débourser. Rien ne sert de changer de conseil juridique tous les mois. Moi, j’irai jusqu’au bout car la Côte d’Ivoire n’est pas une poubelle, » avait prévenu le Colonel Tibé Bi Balou pour interpeler l’opinion et le Pdg de Trafigura, Claude Dauphin.

Claude Dauphin (Ph:Dr)

Claude Dauphin (Ph:Dr)

Avec du recul, le temps semble lui donner raison. Et pour cause, de l’avis de certains experts juridiques,  l’affaire portée au Tribunal civil mettra en cause Trafigura et sa filiale Puma Energy si ces sociétés n’y prennent garde. Pour mémoire, mercredi 2015 l’avocat des deux sociétés, estimant n’avoir pas eu le temps d’examiner le dossier du collectif des avocats du Colonel Tibé Bi Balou pour porter des répliques, l’affaire a été renvoyée au 4 juin 2015.

 « Je précise que l’action menée en justice est contre les blancs et non contre les noirs. Il faut que tous ceux qui sont trempés dans cette affaire et nagent dans la boue du Probo Koala le dos dehors arrêtent leurs fausses besognes, » avait martelé Tibé Bi Balou,  ajoutant par ailleurs ce qui suit: « Ce n’est pas seulement ma vie qui est gâchée dans cette sale affaire. Il y a celle de ma famille et de mes proches ». De fait, au lieu de se mettre  dans une posture de défiance, vis-à-vis  de l’Etat de Côte d’Ivoire, Trafigura et Puma gagneraient plutôt à faire profil bas, et pourquoi pas négocier avec le Colonel Tibé Bi Balou, quand on sait que le protocole signé avec l’Etat de Côte d’Ivoire est entaché de faux.

Comme au Tribunal civil c’est la démonstration de pièces à conviction doublée de faits,  il est difficilement imaginable que Trafigura s’en sorte à bon compte dans la mesure où cette société a perdu son procès au Pays-Bas pour les mêmes faits. En Côte d’Ivoire, il sera question de demander aux responsables du bateau pollueur, Probo Koala de présenter le fax qui déterminait en des points précis la nature du produit déchargé au Paa le 19 août 2006. Sur la question, point n’est besoin de sortir de la cuisse de Jupiter pour savoir qu’il y a eu du faux dans la mesure où,  si le produit était déclaré toxique, les douaniers montés sur la cargaison allaient prendre leurs responsabilités.

Sur quelles pièces à conviction,  le patron de Trafigura, Claude Dauphin et ses avocats s’appuient-ils pour assigner l’Etat de Côte d’Ivoire en justice, dans un procès similaire perdu au Pays-Bas, le 23 décembre 2011 ? Sûrement celle de l’agrément d’« avitailleur » (approvisionnement des navires) obtenu du ministère des Transports par la société Tommy qui, le 9 août 2006,  c’est-à-dire dix jours avant l’arrivée du Probo Koala, est autorisée pour le traitement de produits toxiques par le port autonome d’Abidjan. Cette autorisation du port qui est loin d’être un agrément permet à la société de « récupérer les huiles usagées et les résidus d’hydrocarbures afin d’éviter le déversement accidentel ». Or, Tommy n’a ni les moyens ni les compétences pour cette tâche.

En revanche, pourquoi, le 22 août 2006, malgré une demande d’immobilisation au Paa par le Ciapol (Centre ivoirien anti-pollution) datée de la veille, le Probo Koala quitte sans encombre et  précipitamment le port d’Abidjan ? Bien sûr, avant que le 25  septembre 2006, soit un mois après, Greenpeace et les autorités estoniennes du port de Paldiski bloquent le bateau pour enquête. Le bras de fer qu’engagent  Trafigura et sa filiale n’est pas loin d’être le scénario du retour à l’envoyeur.

Mieux, l’enquête menée par la justice néerlandaise (Pays-Bas) sur les conditions dans lesquelles les autorités portuaires ont laissé filer les déchets que contenait le Probo Koala qui tenait à décharger à leur port le 2 juillet 2006, révèle qu’il s’agissait de déchets toxiques,  soumis à la convention de Bâle qui impose un visa d’exportation. Selon les enquêteurs, les déchets du Probo Koala n’étaient pas des eaux usées tirées du nettoyage du tanker, mais bien des déchets chimiques.

Le Probo Koala, dont l’équipage est russe, est un navire pétrolier immatriculé au Panama, appartenant à une compagnie grecque et affrété par la société hollandaise et suisse Trafigura. Ce navire vraquier polyvalent a déchargé au port d’Abidjan le 19 août 2006, 581 tonnes de déchets toxiques (un mélange de pétrole, sulfure d’hydrogène, phénols, soude caustique et de composés organiques sulfurés). Ces derniers, répandus à terre en zone de décharge et sans doute mélangés à de l’acide, ont provoqué des émanations de gaz mortels.

Sériba Koné

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