Contribution

André Silver Konan : « Allez dire à ceux qui font croire qu’ils peuvent libérer Gbagbo, par un coup de baguette politique, d’arrêter leur hypocrisie »


C’est la plus belle hypocrisie politique de ces trois dernières années en Côte d’Ivoire : réussir à faire croire à des Ivoiriens bien-pensants, qu’il suffit de mener un combat politique particulier, pour que Laurent Gbagbo sorte de la Cour pénale internationale (CPI) !

Quels sont les moyens d’actions, dans un combat politique ? Réponse : d’une part, on a les moyens classiques et d’autre part les moyens non conventionnels, lesquels ne sont pas à encourager. Les premiers moyens d’action sont les mobilisations populaires (marches, sit-in, meetings, etc.), les lobbyings (rencontres bi et multipartites, diplomatie, audiences, etc.), les actions d’ordre scientifique (conférences, déclarations, communiqués, etc.), et les actions d’ordre radical (boycott, désobéissance civile, grève, etc.).

Les seconds moyens relèvent du combat subversif (destitution, coup d’Etat, rébellion, etc.). Alors, par quelle alchimie judiciaire ou juridique, ces moyens politiques peuvent réussir à faire libérer Laurent Gbagbo de la CPI ? Je vais tenter de répondre à la question en usant de la démonstration par l’absurde.

D’un : s’il suffisait de faire des marches, des sit-in et des meetings, pour qu’un prévenu soit libéré de la CPI, Laurent Gbagbo serait libéré depuis 2012. En effet, qu’est-ce que les pro-Gbagbo de France, conduits par Toussaint Alain, Abel Naki et autres Séry Zokou, n’ont pas fait comme marches depuis le transfèrement de l’ex-chef d’Etat, fin novembre 2011 ? Cela n’a eu aucune influence sur la poursuite de la procédure judiciaire.

De deux : s’il suffisait de faire du lobbying pour qu’un prévenu soit libéré de la CPI, Laurent Gbagbo serait depuis longtemps libéré. En effet, qu’est-ce que les amis français de celui-ci proches des réseaux de pouvoir en France, n’ont pas fait ? De François Mattei (le journaliste déchu de France Soir, qui vient enfin de connaître la gloire au soir de sa carrière, avec un livre truffé de mensonges historiques du genre « La France est membre du Conseil d’administration du CFA ») à Albert Bourgi, en passant par les Guy Labertit, Bernard Houdin, quel lobbying n’a pas été fait ?

De trois : s’il suffisait de faire des conférences, des déclarations structurées ou menaçantes, il n’y aurait tout simplement plus aucun détenu à la CPI, tant les sympathisants des Africains qui y sont, excellent dans les déclarations tapageuses.

De quatre : s’il suffisait de « mélanger » un pays (l’expression n’est pas de moi) pour qu’un détenu soit libéré de la CPI, Jean-Pierre Bemba, poursuivi pour des crimes qui auraient été commis par ses milices en Centrafrique, serait depuis longtemps libéré. Le Congolais est vraiment l’exemple parfait en la matière. L’Est de la RD Congo est occupé par une rébellion (qui ne se réclame certes pas de lui) et la Centrafrique n’est plus qu’un quasi Etat ; a-t-on libéré Bemba pour autant ?

Enfin, s’il suffisait de prendre le pouvoir (démocratiquement ou non) pour que la CPI mette fin à ses poursuites contre des personnalités, il n’y aurait plus aucune affaire kényane à l’heure où j’écris ces lignes. En effet, Uhuru Kenyatta élu président en 2013, est poursuivi par la Cour, ainsi que certains de ses proches.

Allez donc dire à ceux qui font croire qu’ils peuvent libérer (sic) Gbagbo, par un coup de baguette…politique, d’arrêter leur petite hypocrisie. Parmi les juges qui décident ou devront décider du sort de Gbagbo, combien lisent Notre Voie ou Le Temps ? Combien savent qui s’appelle Koné Katinan, Sangaré Aboudrahamane ou Marthe Ago ? Combien sont intéressés par l’actualité ivoirienne, suivent la RTI ou sont inscrits sur les forums de discussion ivoiriens sur Facebook ?

Le dossier Gbagbo à la CPI tient en une chose simple : il est poursuivi pour au moins quatre chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La procureure (qui suit, elle, les journaux ivoiriens afin de saisir des déclarations subversives des pro-Gbagbo, pour mieux enfoncer celui-ci) tente de démontrer la culpabilité du suspect et les avocats de la défense doivent démonter ses allégations. Si la procureure réussit à convaincre les juges (pour l’heure, elle le réussit passablement) tout au long de la procédure, aucune déclaration, aucun meeting, aucun coup d’Etat, ne réussira à sortir Gbagbo de prison. Dans le cas contraire, c’est-à-dire au cas où les avocats réussiraient à détruire les allégations de la procureure, aucun juge ne pourrait le maintenir en prison et cela, ce ne serait pas du fait de meetings ou d’attaques à l’ouest de la Côte d’Ivoire, mais grâce à la maestria des avocats.

Il est vraiment temps que cette petite hypocrisie cesse. Maintenant si elle ne cesse pas, ce sera tant pis pour ceux qui croiront que l’activisme politique de certains responsables du Front populaire ivoirien (FPI) en Côte d’Ivoire, en France ou au Ghana, réussira à libérer Gbagbo. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui refuse de voir, c’est connu !

André Silver Konan Journaliste-écrivain

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