Allemagne-Argentine: deux papes, deux pays, deux footballs, une seule église
Dialogue imaginaire, avant la finale au Maracana, entre François, le pape argentin et Benoît, le pape allemand.
La scène se passe dans l’appartement du pape François au Vatican, un simple trois-pièces cuisine-chambre-bureau dans la résidence Sainte-Marthe où il a élu domicile après son élection en mars 2013. On est loin des ors du palais apostolique où logeaient ses prédécesseurs et que François réserve à ses hôtes de marque, souverains et chefs d’Etat.
Benoît XVI, pape émérite, vient de quitter son couvent des jardins du Vatican, à quelques mètres de là, et rend visite, ce jeudi 10 juillet, à son auguste successeur.
Les deux hommes en blanc, l’Allemand Joseph Ratzinger, 87 ans, voûté et appuyé sur la canne qui ne le quitte plus, et l’Argentin Jorge Mario Bergoglio, 78 ans, commentent les nouvelles du jour. François, qui se couche tôt, a veillé tard cette nuit pour assister à la qualification de son pays contre les Pays-Bas.
Les yeux des deux papes pétillent à l’évocation de la finale Allemagne-Argentine de dimanche au mythique Maracana de Rio.
«Saint-Père Benoît, peut-être pourrions-nous regarder ensemble la finale au nom de l’amitié entre nos deux peuples. Ce serait un signe pour le monde», attaque le pape François, fervent amateur de football et supporter, depuis qu’il est tout petit, de l’équipe professionnelle de San Lorenzo, dans la banlieue de Buenos Aires, dont les couleurs bleue et rouge ornent les petits fanions sur son bureau.
— C’est une bonne idée, Saint-Père François, répond, de sa voîx douce et flûtée, le natif de Bavière. Vous Argentin, venu à Rome «du bout du monde», comme vous avez dit le soir de votre élection, moi Allemand, fils de la vieille Europe, nous sommes deux beaux symboles de la mondialisation de l’Eglise. On dit que ce sont les opiums du peuple, mais le fussball, la religion sont des institutions universelles qui rapprochent les hommes.
— Qui les divisent aussi, enchaîne François. Car il y aura, dimanche soir, des gagnants et des perdants, des élus et des damnés, comme dans le Jugement dernier. Vous savez que dans le football, on n’est jamais loin de la religion. Un match, c’est comme une liturgie. Les stades sont les cathédrales des temps modernes, les hymnes nationaux sont le cérémonial pour le sacrifice. Le public communie avec ses idoles. Les entraîneurs sont les grands-prêtres qui désignent les officiants et laissent les autres sur le banc. Les joueurs se signent avant d’entrer sur le terrain, prient après un but, s’agenouillent à la fin du match pour bénir le Ciel ou, au contraire, pleurer toutes les larmes de leurs corps.
Un match, c’est comme une liturgie.
François, dans notre dialogue imaginaire
— Pour avoir participé à trois conclaves, dont le troisième où j’ai été élu, dit le pape allemand, je sais qu’il faut se méfier des pronostics. Jean Paul II et vous l’an dernier, pape François, vous aviez été des surprises mondiales. Nous étions tous les deux en tête au conclave de 2005 et je l’ai emporté. Cette fois, de l’Allemagne ou de l’Argentine, qui va gagner?
— Vous les Allemands, cher Benoît, vous êtes les favoris, répond le pape jésuite. Vous êtes bénis de Dieu. Vous avez écrasé mes frères brésiliens, le peuple le plus catholique du monde. Tous les Brésiliens étaient unis dans la même ferveur et la même prière pour remporter le Mondial. Mais Dieu était avec la Mannschaft.
— C’est vrai, ma belle Bavière natale, très catholique, produit des joueurs d’exception, répond Benoît, faussement modeste. Regardez mon capitaine Philipp Lahm, mon invincible gardien Manuel Neuer, mon buteur Thomas Müller, mon relayeur Bastian Schweinsteiger que j‘appelle affectueusement «Schweini» comme tous les Allemands, Toni Kroos qui a planté deux buts aux pauvres Brésiliens: ils viennent tous du Bayern Münich, le meilleur club au monde. Mais vous, mon cher François, vous avez un certain Messi et, s’il est guéri pour dimanche, l’excellent Angel di Maria.
— Messi, Angel, avec de tels noms, en effet, nous avons nos chances, convient François. Cher Benoît, quand vous étiez en activité, vous avez écrit trois livres sur Jésus et vous vous y connaissez. Jésus a apporté l’espérance au peuple juif, mais n’a pas été reconnu. Mon Messi à moi a été aussi discuté par son peuple argentin, qu’il a quitté très jeune pour aller jouer en Europe. Mais aujourd’hui, il est réconcilié avec lui. Toute l’espérance du peuple argentin se porte sur notre divin Messi. Le miracle viendra de lui.
Je suis pour un 5-3-2 de la doctrine
Benoît, dans notre dialogue imaginaire
— Je respecte Messi, mais aussi la défense de l’Argentine, qui est un modèle de discipline, poursuit Benoît, surnommé en Allemagne le «PanzerKardinal», pour sa rigueur toute militaire. Moi aussi, j’ai verrouillé. L’Eglise n’est jamais aussi forte que quand elle défend, se replie sur son but, écarte les offensives adverses, résiste à la pression des attaquants. Dans l’Eglise, comme dans toute équipe, il faut un solide gardien –le pape–, un mur de défense au Vatican, quelques attaquants de pointe pour aller porter au monde la bonne nouvelle comme on porte le ballon rond. Je suis pour un 5-3-2 de la doctrine…
— Je ne suis pas d’accord, Saint-Père Benoît. Vous en êtes resté à l’époque du «catenaccio» de la Squadra azzura des années 1960-70. Moi, je ne considère pas le jeu d’avant comme une hérésie. J’aime l’intransigeance de votre gardien Neuer, l’organisation du jeu allemand. Mais je préfère les prises de risque, les vagues vers l’avant du milieu de terrain, la «périphérie» du but adverse, les dribbles, les passements de jambes. Ma tactique est le 3-2-5: cinq attaquants pour la reconquête du monde! Mon Eglise est plus offensive que la vôtre.
— Je reconnais bien là votre flamme de jésuite, mais il n’y aura jamais que Dieu pour nous arbitrer, répond paternellement Benoît. Alors François, je vous dis à dimanche devant la télé. Apportez le maté que vous appréciez tant et que tous les Argentins boivent assidûment.
— Et vous, n’oubliez pas votre chère bière bavaroise.
Une histoire de Slate