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Ahmed A. Traoré (Président du Club’I.N) : « Ly Ramata Bakayoko a la lourde charge de proposer et défendre auprès du gouvernement les réformes qui s’imposent »


Abidjan-07-04-16 (lepointsur.com)Président de l’Ong Club IN, M. Ahmed  A Traoré, est  au fait des réalités  de son pays.  Se prononçant , sur les derniers développements de l’actualité en Côte d’Ivoire, dans un langage, dont lui seul a le secret, il décrypte  et décortique  l’actualité, relative au concept  « d’  Ivoirien Nouveau » qui alimente certains débats, ainsi que la mission assignée à la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Ly Ramata Bakayoko, dont la tache à la tête de ce département ministériel ne sera pas de tout repos. Entretien.

 Qu’entendez-vous par le concept de « l’Ivoirien nouveau » ?

« L’Ivoirien Nouveau », pour nous incarne une rupture qualitative avec tous les comportements non éthiques et peu glorieux que la Côte d’Ivoire a connus depuis plus de deux décennies. Il s’agit de rejeter ce repli tribal et régionaliste qui a vu les communautés s’affronter pour la cause d’hommes politiques qui ne le méritaient pas. « L’Ivoirien Nouveau » est le modèle de travail, de discipline et d’unité qui doit caractériser chacune des actions menées par tout citoyen. « L’Ivoirien Nouveau » est enfin l’état d’esprit proactif qui doit prévaloir chez chacun de nous et qui veut que nous soyons les propres acteurs de notre développement.

Ahmed A Traoré: Est-ce donc ce qui justifie la création de Club’I.N. ?

Des membres du club Ivoirien nouveau ph.Dr

Des membres du club Ivoirien nouveau ph.Dr

Oui bien sûr. À l’origine, ce sont des jeunes ivoiriens, issus de toutes les couches de la société ivoirienne et surtout de toutes les régions, qui ont décidé d’unir leurs actions pour contribuer au développement de la Côte d’Ivoire. Nous sommes partis du constat que depuis 1999, les jeunes ivoiriens se sont fait manipuler par les hommes politiques de tout bord. Ils ont perdu, pour la plupart, leur temps d’études, leur jeunesse et pour beaucoup leur vie. Et à la fin de ce qui était considéré comme la lutte pour leur liberté intellectuelle et financière, ils ont constaté que c’était en réalité la lutte pour qu’un groupuscule en profite. Alors, nous qui avons tout reçu de ce pays et qui avons eu la chance de travailler dans des entreprises nationales et internationales, nous nous sommes posé la question de savoir qu’elle pourrait être notre contribution pour la construction de notre société. Nous pensons foncièrement que le développement du pays passe par l’engagement sain et responsable des jeunes dans le jeu politique et économique.

Pensez-vous que ce concept pourra prospérer quand on sait que malgré l’abattage médiatique qui est fait autour de ça, les habitudes des Ivoiriens n’ont toujours pas changé ?

Nous pensons surtout que la population n’a pas encore pris en main la nécessité du changement de mentalité parce que ceux qui se font passer pour les chantres de ce concept noble aujourd’hui, n’en sont pas en fait des exemples; parce que voyez-vous, il est difficile de concevoir que les tenants actuels du pouvoir puissent incarner « l’Ivoirien Nouveau ». Plusieurs attentes en termes de bonne gouvernance, de transparence, d’éthique et de redistribution plus large des ressources n’ont pas encore vu le jour. On voit encore les mêmes tares, décriées hier, qui persistent et se renforcent. Le citoyen lambda a besoin de modèle crédible pour prendre conscience et amorcer sa propre mutation. L’exemple doit venir du haut et tout le monde suivra. En attendant, nous travaillons à faire la promotion du changement de mentalité comme élément du développement futur de la Côte d’Ivoire.

D’aucuns pensent que vous vous êtes approprié le concept du Chef de l’État, Alassane Ouattara. Pouvez-vous restituer les faits en ce qui concerne « l’Ivoirien nouveau »?

Nous pensons que tout citoyen averti ne peut croire en cela. Nous travaillons à promouvoir ce concept depuis mai 2013. Si vous vous rendez sur notre forum de discussion sur Facebook, vous verrez que nous parlons du mouvement « Ivoirien Nouveau » depuis cette date. Nous appelons les jeunes en particulier à adopter une mentalité qui rompt avec celle du passé, pour se tourner vers des valeurs d’ouverture, de travail et surtout d’appropriation du concept de «NATION» comme socle de notre développement. Mieux, en février 2015, donc près de 9 mois avant les élections présidentielles, nous avons déposé nos statuts et règlements intérieurs au ministère de l’intérieur pour nous faire reconnaître en tant qu’association. Alors notre action est bien antérieure à celle du Chef de l’État qui pour nous reste, à ce jour, plus au niveau du slogan politique.

Depuis quelque temps, vous avez initié une série de formation relative à l’entrepreneuriat en faveur des jeunes diplômés sans emploi en situation d’activité. Comment ces formations se déroulent-elles et que peuvent-elles réellement les apporter ?

Ces formations apportent beaucoup aux jeunes qui y participent. Nous leur apprenons l’esprit d’entreprise. Nous leur montrons la base de la réussite de tout projet d’entreprise. Plusieurs participants avaient des projets et ne savaient pas, par où commencer. Nous leur avons donné les outils pour mener la réflexion et poser des bases solides au lancement de leur projet. Ces formations continuent, car nous voulons toucher à toutes les étapes du cycle d’entreprise; de l’idée à sa mise en œuvre, pour aboutir à sa gestion au quotidien. Nous sommes donc dans une dynamique qui se poursuit. Au-delà des formations en entrepreneuriat, nous avons également fait des formations à l’endroit des étudiants sur comment mener une recherche d’emploi de façon dynamique. Et je peux vous dire que partout où nous sommes passés, les jeunes ont apprécié notre démarche. Dans les semaines à venir, nous allons débuter des formations sur des questions plus politiques et économiques. Dans notre entendement, les questions d’emploi et de bien-être sont intimement liées aux enjeux politique et économique du pays.

En terme de suivi, que sont devenues aujourd’hui les premières personnes formées par Club’I.N. ?

Nous avons un volet coaching qui nous permet d’assister toutes les personnes qui nous sollicitent. À ce jour, plusieurs projets de création d’entreprises sont en réflexion et nous espérons qu’ils seront concrétisés bientôt.

Pour vous, la formation à elle seule suffit-elle à créer un nouveau type de citoyen ? Sinon, que faut-il faire ?

La formation, au sens large de l’éducation, doit être le  moteur du changement de mentalité. Si les personnes en général et les jeunes en particulier connaissent les éléments liés à leurs responsabilités et à celles des dirigeants, cela contribuera grandement à ouvrir leur esprit et au-delà à stimuler leur envie de changement qualitatif. Nous pensons que la formation, la sensibilisation et le bon exemple peuvent aider à changer le visage de la Côte d’Ivoire. Nous devons travailler à reconstruire notre identité, car avec les crises successives que nous avons connues, il y a eu une œuvre de « déconstruction » de ce qui faisait notre fierté dans la sous-région et dans le monde.

La formation d’un citoyen nouveau, c’est aussi des formations de qualité dans les Universités ivoiriennes. Quel regard extérieur jetez-vous sur la qualité des enseignements qui sont dispensés en Côte d’Ivoire principalement dans les Universités publiques ?

AHMED OUAT 2 BON

Cette question nous préoccupe au plus haut point, car il s’agit de la relève de notre pays. Il s’agit de la ressource première de notre succès. À ce niveau, il faut reconnaître que des efforts sont faits par les dirigeants actuels. Mais, ces efforts restent insuffisants quand on sait toute l’importance du système éducatif dans l’émergence de la Côte d’Ivoire. Les employeurs continuent de dénoncer l’inadéquation entre la formation et les attentes des entreprises. J’ai moi-même constaté à plusieurs reprises, lorsque j’étais directeur des ressources humaines, que mes jeunes frères avaient beaucoup de lacunes sur des aspects qui relevaient du métier qu’il était sensé avoir appris. Ce n’est pas leur faute en grande partie. Pour revenir à la question de l’Université, disons qu’elle avait été fermée pour nous, dit-on lui donner un nouveau départ. Trois ans plus tard, nous constatons encore des dysfonctionnements sur des aspects liés à la bibliothèque, aux travaux pratiques, aux matériels de diffusion de l’enseignement, etc. Pour vous citer un exemple, les étudiants de la faculté de médecine. Dans les faits, il y a une forte probabilité d’année blanche pour les promotions 2014-2015 et 2015-2016. Les premiers cités n’ont fait que les cours ne nécessitant pas de TP quand les deuxièmes n’ont pas encore commencé les cours. Les TP (travaux pratiques) sont un élément primordial dans la formation du médecin. Sans TP, comment appliquer la théorie ? Il ne faudrait pas être surpris que dans les années à venir un médecin confonde «la bile et la rate». Nous pensons qu’il faut réduire les fonds alloués à certains secteurs ou personnes comme le budget de souveraineté, le nombre de missions des membres du gouvernement ou encore tous ces avantages dont bénéficient plusieurs personnalités politiques et administratives pour les rediriger vers la formation des jeunes. Il y a des priorités dans une nation qui ne peuvent attendre. Sinon, c’est l’avenir du pays même qu’on met en attente.

Devrait-on, désespérer de ces Universités qui forment des chercheurs de demain?

Absolument NON. Nous pensons que les problèmes sont connus. Il y a eu mille et un séminaires sur la question de l’Université. Aujourd’hui, il faut avoir le courage d’appliquer les réformes nécessaires, avec les hommes et les moyens financiers adéquats. Et dans cette quête, il n’y a pas que le gouvernement qui est interpelé, il y a les enseignants, les parents d’étudiants et les étudiants eux-mêmes. L’Université doit être le baromètre de la volonté de tous de voir la Côte d’Ivoire devenir le fleuron de la recherche et de l’enseignement supérieur. Nous avons d’éminents chercheurs en Côte d’Ivoire, mais comme vous pourrez le constater la plupart ont été formés à l’étranger. Il est temps que notre système universitaire produise des chercheurs capables de compter au plan international par la qualité de leurs publications dans des revues classées A +.

La nomination de Ly-Ramata Bakayoko au poste de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de Côte d’Ivoire a été saluée par la quasi-totalité des acteurs de l’Université. Pourtant, les mêmes problèmes demeurent quelques semaines après sa nomination. Que préconisez-vous pour sortir l’école ivoirienne de sa léthargie ?

Le professeur Ly-Ramata Bakayoko fait partie des éminentes personnalités de notre système universitaire depuis des années. Avant d’être ministre, elle a occupé les fonctions de présidente de l’université de Cocody. À ce titre, elle connait tous les maux qui minent nos Universités. Encore une fois, le problème n’est pas au niveau de la connaissance des problèmes, mais de la mise en œuvre de réformes profondes et efficaces. Alors, la nouvelle ministre, à l’instar de ses prédécesseurs aura la lourde charge de proposer et défendre auprès du gouvernement les réformes qui s’imposent. Toutefois, nous restons quelque peu sceptiques. Trois ministres de l’enseignement supérieur en six ans, et rien! Le problème n’est peut-être pas au niveau de l’occupant du poste, mais peut-être ailleurs…au niveau de la volonté politique de vraiment donner aux Ivoiriens la qualité de la formation à laquelle, ils ont droit. Le régime antérieur, considéré comme celui des enseignants, en dix ans n’a pas pu donner à nos Universités, une aura reluisante. Celui actuel, taxé de régime d’économiste et d’hommes d’affaires, peine à faire mieux; alors peut-être qu’il est temps de changer cette classe politique pour une nouvelle? La réflexion continue et nous espérons que les jeunes seront en première loge pour débattre et proposer des alternatives plus crédibles et à l’ère de notre temps. Nous, au Club’I.N., sommes engagés pour contribuer à la construction d’une nouvelle société.

Source: Soir Info du 06 avril 2016

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