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A propos de la crise à la CNEC / Pr. Langui Roger (Maître de Conférences à l’université FHB) annonce la création d’un nouveau syndicat (Interview)


Abidjan, le 23-10-15 (lepointsur.com)-Maître de Conférences à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Directeur de publication de la revue « Le Didiga », poète-écrivain, éditeur libre, le Prof Konan Roger LANGUI, revient sur la crise au sein de la Coordination Nationale des Enseignants et Chercheurs (CNEC) et révèle la création du Conseil National du Supérieur (CNS).

Vous avez récemment, avec deux de vos camarades de la CNEC,  dans une adresse à vos camarades membres,  dénoncé certaines réalités au sein de ce mouvement. Que se passe-t-il exactement ?

languy2La CNEC est devenue un syndicat de marchandage des revendications contre des intérêts personnels. Aujourd’hui les Enseignants-Chercheurs sont désabusés face à la crise de leadership et de fonctionnement qui a cours ; laquelle a provoqué une panne d’efficacité. Au cours d’une AG dans le mois de mai, le bureau provisoire a dû admettre sous pression, avoir perçu la somme d’un million avec promesse de trois autres millions. Où ont-ils eu cet argent et pour quelle raison ? Ont-ils assuré des cours lors des négociations pour justifier cet argent ? Nous avons pris nos responsabilités parce que l’université a besoin de sérénité. Quand on ne fait pas ce qu’il faut, on n’a pas le droit de pousser les universités d’un pays tout le temps à la grève. Une seule grève, bien menée, aurait pu mettre fin aux problèmes à l’université. Au-delà de ça, les textes sont volontairement sabordés au point où on en est arrivé à une crise ouverte et tout évolue aujourd’hui vers une sorte de délinquance syndicale. Pour un syndicat, c’est une preuve d’échec. Quelles peuvent en être les raisons ? J’en vois deux : les cas d’achat de conscience auxquels le syndicat n’a pas su remédier depuis sa création et le fait que ses premiers dirigeants aient été débauchés par les ministres de tutelle. Ceux-ci pour assurer leur poste, ne peuvent que travailler à saboter de leur position, toutes nos revendications.

Vous dénoncez donc un problème de tenue des dirigeants du syndicat. Est-ce à dire que si ces choses sont réglées vous reviendriez à la CNEC ?

Nous n’avons pas fait vœu de militantisme à la CNEC mais encore faut-il que cette crise soit soluble sans affecter les valeurs éthiques. Nous avons discuté avec toutes les parties avant de déboucher sur cette nécessité de partir. Nous sommes engagés à relever les défis qui nous ont été lancés. Nos textes seront enregistrés et nous serons sur le terrain ; ceux qui nous attendent nous verront. Pour l’heure, certains voudraient que nous revenions. Ce sera difficile mais nous discutons ; même si ce n’est pas notre priorité. Nous ne voulons pas évoluer dans un tel climat tout en sachant que tout est dévoyé par certains de nos collègues.

Vous confirmez donc la création d’un nouveau syndicat ?

Je confirme. C’est le CNS (Conseil National du Supérieur). Nous proposons une solution alternative pour reprendre en main et traiter les points de revendication vendangés par certains. Nous changeons aussi de stratégie. Pour nous, pas question de grèves intempestives quand nous pouvons trouver des solutions pour contraindre les autorités à la concertation. Nous pouvons amener l’État à la table par la fermeté et la discipline. Par exemple, si nous parvenons à convaincre nos collègues à ne plus faire d’heures complémentaires, l’État sera amené à recruter sur-le-champ, au moins 3000 nouveaux Enseignants-Chercheurs, ne serait-ce qu’à l’université Félix Houphouët-Boigny qui est de surcroit la plus fournie en effectif. Je rappelle que chaque Enseignant-Chercheur est recruté avec une charge horaire nette ; cette charge est même caduque aujourd’hui. Par un simple calcul, ce nombre de 3000 équivaut à une enveloppe salariale estimative de 12 milliards au moins alors que nous le couvrons leur charge pour 6 milliards en heures complémentaires dans les conditions qu’on sait. Malgré cela, les autorités ont affiché un mépris qui ne tombe sous aucun sens. Nous savons que cet effectif à recruter passera du simple au double voire au triple à Bouaké, Korhogo, Daloa, Abobo-Adjamé. Il y aura du travail dans ce pays. C’est pourquoi, le projet d’enseignement à « distance » du ministre Gnamien ne nous concerne pas puisqu’il s’agit d’un abus au code du travail. Nos cours sont destinés à un groupe donné d’Étudiants en fonction d’un volume horaire précis. Au-delà, il faut payer et désormais, c’est à nous d’en fixer le montant. Il n’y aura pas de cours en ligne tant que nos revendications ne sont satisfaites et même si elles l’étaient, nous devrions discuter de la question.

Pensez-vous que vos méthodes seraient plus efficaces ?

Vous voulez parier ? nous invitons tous les autres syndicats à envisager cette méthode pour en finir avec les grèves et le dénie de responsabilités des autorités.

Nous avons appris que vous étiez-prêts à animer un point de presse…

Il s’agissait de prendre la nation et les partenaires de l’école à témoin avant de passer à la phase supérieure. L’école doit vivre. Nous devons œuvrer pour amener les autorités à honorer leurs responsabilités. Mais cela veut dire que nous nous donnons des responsables syndicaux honnêtes et pragmatiques. Par ce point de presse, les Ivoiriens doivent savoir ce qui se passe dans leurs universités. Nos universités doivent être aussi assainies.  Dans ce pays, on a l’impression qu’il y a un complot ourdit contre l’école et la formation des jeunes. Et je crois que dans cette élection, nous devons parvenir à mettre l’université au centre du débat et des projets de sociétés.

Quels sont les objectifs du CNS ?languy1

Le Conseil National du Supérieur est une troisième voie pour traiter, je l’ai dit, des revendications des Enseignants-Chercheurs. Il s’agit pour nous de sortir les universités et grandes écoles de l’ornière. En tout cas, nous avons des propositions à faire parce que nous nous définissons comme un « syndicat conseil ». Nous avons aussi des projets sociaux que nous ferrons connaître prochainement.  

L’on parle de l’émergence à l’horizon 2020. Est-ce à dire qu’avec cette situation de crise, l’université ne se sent pas concernée ?

L’obnubilation de l’émergence ne doit pas nous plonger dans un économisme déshumanisé. Les gens ont dit qu’on ne mange pas les ponts. Je crains qu’ils n’aient raison. On a parfois l’impression que notre émergence à nous tomberait des étoiles ; c’est-à-dire sans un système éducatif performant, en plus de la santé. On peut prétendre que l’économie est universelle par principe, mais il n’y a d’économie que par les peuples. Quel est le type d’économie qui nous est propre ? Je vais vous surprendre pour dire que pour nous, sociétés négro-africaines, le chemin principal de l’émergence,  passe par la culture ; autre chose serait lourd de conséquence. C’est pourquoi je ne comprends pourquoi certains s’en prennent à l’école chaque fois qu’ils ont des problèmes de calcul quand ils ne soulèvent pas des oppositions gratuites entre scientifiques et littéraires. Ils doivent d’abord commencer par mettre en état le lycée scientifique de Yamoussoukro puis renouveler le matériel scientifique des lycées et collèges, pillés au cours de la rébellion et de la guerre de 2010 pour redonner un intérêt à la science. Ce ne sont pas les parents d’élèves et d’étudiants qui doivent payer les microscopes et les éprouvettes. Tel que nous fonctionnons, donnons-nous dix ans, même avec 20 000 nouvelles universités et faisons le point avec les États qui ont compris ces enjeux comme le Bénin, le Niger, le Sénégal, le Gabon et bien d’autres autour de nous qui ont accordé ce qu’il faut au supérieur.

 Avez-vous un message particulier à lancer aux autorités, aux parents des étudiants, aux populations pour cette rentrée qui s’annonce dans un contexte d’élection présidentielle ?

Je parlerai aussi aux candidats surtout ; parce qu’il faut des gens pour construire un programme cohérent pour nos universités et pour l’école en général. La paix sociale passe indirectement par là. Ce sont les crises à l’université qui ont poussé nos étudiants à un syndicalisme peu orthodoxe et qui ont alimenté la rébellion et les agoras. Je leur dis aussi qu’une rétention de 25 000 francs/mois sur les salaires a eu lieu pendant trois ans depuis 2009 ; ce qui a constitué le reliquat dont nous exigeons le paiement dans un des points de nos revendications. Quand l’état se refuse à tout paiement, il y a un problème de moralisation des politiques étatiques. Il faut construire un nouveau type d’état, plus honnête et plus juste vis-à-vis des travailleurs. Je leur demande donc de faire des propositions concrètes et des projets viables sur l’université parce que les étudiants, les enseignants et tous les partenaires de l’école voteront en conséquence. Le meilleur candidat sera pour nous donc, celui qui aura présenté le meilleur projet sur l’école. À nos collègues, je voudrais dire que lorsqu’un syndicat est cohérent et digne de confiance, son impact est naturel. Ils doivent résister à la violence et préserver notre corporation par leur attachement aux valeurs civiques. Le CNS est désormais leur instrument ; ils sauront nous trouver sur les questions essentielles de notre vie syndicale.

Réalisée par Kpan Charles

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