16 ans après/ Le RGPH, sous tension et intoxication


ATMLa Côte d’Ivoire entame lundi 17 mars 2014, son premier recensement depuis 16 ans, une opération aussi fondamentale que périlleuse pour un pays incapable d’estimer sa population croissante, mais où la question de la nationalité a provoqué une décennie de crise politico-militaire. L’opposition critique fortement le processus, y voyant des préoccupations politiques du pouvoir, qui cherche selon elle à accroître le nombre de ses électeurs à 19 mois du prochain scrutin présidentiel, prévu pour octobre 2015.

La dernière enquête nationale date de 1998. Le pays comptait alors 16,3 millions d’habitants. Soit 6 ou 7 millions de moins que la population estimée aujourd’hui. Le recensement général de la population et de l’habitat en Côte d’Ivoire, organisé tous les dix ans, n’avait pu se tenir en 2008 en raison de la crise secouant le pays, alors coupé en deux.

Le Nord était tenu par une rébellion favorable à l’actuel président Alassane Ouattara, tandis que le Sud était contrôlé par le régime de l’ex-chef de l’Etat Laurent Gbagbo, finalement renversé en avril 2011 après une violente crise postélectorale.Gbagbo avait été ensuite arrêté et transféré fin 2011 à la Cour Pénale Internationale à La Haye, qui l’accuse de crimes contre
l’humanité.

Le recensement est une « opération extrêmement importante pour le pays et pour nos partenaires« , affirme le ministre ivoirien du Plan et du développement, Albert Mabri Toikeusse, dans un entretien avec l’AFP.

D’un coût global de 12 milliards de francs CFA (environ 18 millions d’euros), dont 60% financés par la Côte d’Ivoire et 40% par la communauté internationale, il permettra au pays de disposer de « statistiques fiables », souligne le ministre, qui y voit « un puissant outil de développement pour attirer des investisseurs ».
Quelque 30.000 agents seront mobilisés. Ils visiteront 108 départements et plus de 10.000 villages, munis de smartphones et non plus de formulaires en papier, pour s’enquérir de l’âge, du sexe, de la religion, de la nationalité ou encore de l’ethnie des répondants.

– Impact politique

L’impact politique du recensement s’annonce fort dans un pays où moins de 6 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes en 2010, quand Alassane Ouattara l’avait emporté sur Laurent Gbagbo.

La nationalité et la notion d’+ivoirité+ ont été au coeur de la crise ivoirienne, qui a fait plus de 3.000 morts en 2010-2011 et des milliers d’autres entre 2000 et 2010. M. Ouattara s’était retiré de la course à la présidentielle de 1995, attaqué sur ses origines burkinabè présumées.

Une rébellion avait pris le nord du pays après un coup d’Etat avorté en 2002,

lancé au nom de l’+exclusion+ des populations nordistes.ATM1

Après trois années de paix, et alors que la présidentielle d’octobre 2015 se profile, le recensement, « inopportun », « prépare une fraude électorale« , dénonce Alphonse Douati, le vice-président du FPI (Front populaire ivoirien), l’ancien parti de Laurent Gbagbo.

Grâce aux résultats récoltés, le pouvoir naturalisera un grand nombre d’étrangers vivant sur le territoire ivoirien en vue d’en faire du « bétail
électoral
 » pour Alassane Ouattara, candidat à sa propre succession, affirme-t-il.
Une loi sur la nationalité a été votée en août, qui change le mode d’obtention de la citoyenneté. Les requérants pourront désormais bénéficier de la nationalité ivoirienne « par déclaration » en lieu et place de la procédure de naturalisation, plus compliquée, jusque-là en vigueur. Le nombre de bénéficiaires de cette loi, pour l’instant inconnu, pourrait être révélé par le recensement.
Le gouvernement, en quête de réconciliation politique, se fait très discret sur ces sujets. « Le recensement général et la révision de la liste électorale sont deux opérations distinctes« , déclare prudemment le ministre du Plan.
Quand bien même leur lien paraît évident : grâce aux nouvelles données sur sa population, l’Etat ivoirien actualisera de fait ses listes électorales. L’enquête « donne des outils » pour « préparer l’identification » en vue de « la révision de la liste électorale« , reconnaît d’ailleurs Ibahima Ba, le directeur de l’Institut national de la statistique, qui pilote l’opération. « Tout ça n’est pas fait pour calmer le jeu politique en Côte d’Ivoire« , s’émeut Alphonse Douati, qui appelle à « différer l’opération« . Joël N’Guessan, le porte-parole du RDR (Rassemblement des républicains), le parti de M. Ouattara, défend une gestion rigoureuse du dossier « afin d’éviter une autre crise identitaire au pays« .

Serges Mignon avec l’AFP

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